Chapitre 203 - Hao, Atoll Tabou
Chapitre 203
HAO, ATOLL TABOU
Après quarante jours de mer, on peut se demander pourquoi, ce matin, on se sent nerveux... Non pas nerveux au sens de stresser par la routine hauturière, non, passée la première semaine le rythme est établi. Les milles défilent, passent paisiblement mais...
Eh bien alors...?
Eh bien nerveux de l'atterrissage imminent, tout simplement
Sur le grand routier, étalé là devant nous, Tahiti est une tête d'épingle dans cet immense Pacifique, qui n'a d'ailleurs, soit dit en passant, de pacifique que le nom !
Depuis le désert d'Atacama, les 8500 kilomètres (4600 Milles pour les puristes) de cette traversée se sont effectués en compagnie d'une longue houle issue des cinquantièmes. Portés par le puissant courant de Humboldt, les trains de vagues remontent des latitudes australes et touchent avec force toute la côte Ouest de l'Amérique Latine.
Omniprésente durant les deux premières semaines du voyage cette puissante houle soulevait parfois des pyramides déferlantes qui effrayaient beaucoup notre petite Nanou. Pendant ces quinze premiers jours elle n'a pas voulu mettre le nez dehors. A chaque tentative on la voyait se tenir les oreilles en tremblotant quand le bateau partait au surf dans le bouillonnement des crêtes qui roulaient, grondaient, puis s'étalaient en jolis panaches d'écume par notre travers bâbord. Il est vrai que, pour nous aussi, ce spectacle était parfois très impressionnant... Aussi nous n'avons pas insisté, petit à petit la mer s'est calmée, et Anne est remontée sur le pont... Nous avions alors rejoint le couloir des alizés.
Anne vient d'avoir douze ans. Nous avons respecté la tradition avec gâteaux et bougies, comme il se doit. Douze années déjà d'aventures, de navigation, de moments difficiles, mais aussi de joies...
Nous sommes déjà fin octobre et les premières dépressions tropicales font leur apparition sur la Polynésie...
Nous venons d'en essuyer deux, coup sur coup, les toutes premières de cette saison 92-93. Pas méchantes, c'est vrai, mais elles deviennent extrêmement dangereuses aux abords d'un archipel comme celui des Tuamotu. Nous devons le traverser maintenant, avant d'atteindre Tahiti, notre prochaine escale.
Nous sommes au trente neuvième jour de mer...
Par beau temps et mer calme, vu d'un petit bateau, un atoll ne s'aperçoit qu'à six ou sept milles de distance, à cause de sa très faible hauteur au-dessus des flots. Par mauvais temps établi, forte houle et visibilité réduite, on imagine aisément que cette distance, en pratique, puisse se réduire à néant. Le sondeur non plus n'est pas d'un grand secours. Les fonds passent directement de mille mètres à zéro, d'un seul coup, à l'approche des récifs barrières. Ce sont de véritables murailles sous-marines. Quant au radar, il a beaucoup de mal de loin, avec en plus les mouvements de roulis, à discriminer les plus grosses vagues des cocoteraies qui constituent les seuls reliefs détectables au-dessus du fenoa, la terre.
La conclusion, que soulignent avec insistance nos Instructions Nautiques, est que l'approche d'un atoll ne doit s'effectuer que de jour, par beau temps, et uniquement par le bon côté de la barrière, c'est à dire sous le vent de l'anneau de corail !
Que d'exigences pour une aussi petite chose... Mais le nombre d'épaves agonisant sur ces hauts-fonds attestent amèrement que cette recommandation n'est pas usurpée !
Mais au fait, qu'est-ce donc qu'un atoll ?
Derrière cette littérale explication se cache, en vérité, une longue et mystérieuse histoire qui a fasciné l'imagination de tous les découvreurs des mers du Sud...
Malmenée par le mauvais temps de ces trois derniers jours, la famille Danilo, c'est à dire nous, les Kerguelen, décidons de faire une escale technique. Cette halte n'était pas prévue au "plan de vol", mais l'atoll d'Hao est situé en plein sur notre route. Avec le passage de la première dépression, le génois de l'enrouleur a été déchiré vers la têtière sur près de trois mètres de hauteur. Maintenant il s'enroule très mal. En prime, la biellette principale du pilote automatique, qui a déjà subi un "pansement" d'urgence, n'a pas tenu ! Cela fait donc deux choses importantes de détériorées. Avec la mauvaise saison qui s'annonce, la sagesse nous dicte de ne pas laisser se dégrader la situation présente. Une escale s'impose. Justement il y a cet atoll d'Hao en face de nous, il nous tend les bras ...pour demain !
Nous calculons, à la minute près, l'heure de la marée pour nous présenter au bon moment dans l'unique passe de cet atoll. Les courants peuvent y dépasser la vitesse de quinze nœuds ! Dans de mauvaises conditions météorologiques la passe se transformerait vite en un tumultueux torrent. Autant dire que le créneau de passage, pour un voilier comme le nôtre, est d'environ deux heures maximum sur deux marées consécutives... C'est bien peu !
Sans connaître les lieux, malgré le balisage nocturne, il est hors de question d'y entrer de nuit. L'heure est donc notée avec cette précision astronomique, aussi ridicule qu'impérative après quarante jours de flâneries océanes. Flâneries effectuées sans même se soucier du jour qui passe, du soleil qui se couche puis se lève, ou bien de la lune qui redevient pleine, gibbeuse... Nous nous sentons vraiment honteux et confus de cette rigueur atomique et métropolitaine du Trans-Europe-Express quittant son quai de gare londonienne !
Quatorze heures vingt-deux minutes, heure tahitienne, a-t-on écrit en gros caractères sur la carte d'atterrissage. Nous disposons de plus ou moins une heure pour le créneau, voilà ce qui sera possible d'espérer. A nous maintenant de gagner notre passage, de décrocher notre qualification pour le "trou de souris" qui se profile devant notre étrave.
A bord, nous disposons de cinq calages horaires différents. Nous avons cinq horloges, cinq références, toutes utiles, un vrai casse-tête chinois. Nous avons déjà parlé de tous ces problèmes de définition temporelle, pourtant indispensables aux navigateurs. C'est toute une amusante histoire... Pour l'heure - ai-je l'air d'insister ? - mais non, je vous le jure sur la trotteuse de montre qui n'en a pas, pour le moment donc, nous retardons l'heure de bord d'une demi-heure tous les deux jours ou deux jours et demi, suivant notre vitesse. Toute cette manipulation d'aiguilles consiste, en réalité, à rester en phase avec le soleil. Tant pis pour celui qui est de quart pendant la suspension du temps sur nos pendules, cela s'appelle : pas de chance ! Pour l'heure donc - très drôle ! - nous sommes à présent synchrone avec le fuseau horaire polynésien. Nous écoutons goulûment RFO Tahiti que nous avons enfin accroché sur ondes courtes. Après quatre années sud-américaines de réflexions castillanes, nous sommes avides de culture française, c'est normal. Aussi très heureux pour Anne qui retrouvera une langue plus familière, même si elle ne parle pas, elle comprend. Les contacts seront donc facilités pour elle.
Nous sommes littéralement pendu à notre horloge… Il n'y a plus que ce rendez-vous qui compte : Hao, passe Kaki, 14h 22 !
En tenant compte de la dérive due aux courants et de notre propre vitesse moyenne sous voiles, nous décidons de mettre en panne, à la cape, durant sept heures. C'est ce que nous faisons juste après le coucher du soleil. Ce petit entracte est salvateur : sept heures de cape, cela signifie aussi quatre cent vingt minutes de sommeil supplémentaire, une cure. Merci Morphée.
Nous remettons en route dans le milieu de la nuit. Nous devons impérativement frapper à la porte du lagon à l'heure fatidique.
- Terre !... Terre en vue ! Terre à tribord !
Fouillant l'horizon, perché sur le balcon avant tel un perroquet sur un chenet de cheminée, c'est Moïse, comme toujours, qui aperçoit la terre le premier ! Effectivement, sur tribord avant, des crêtes verdoyantes et discrètes percent la platitude fluide de l'horizon. C'est l'atoll d'Amanu !
Emouvante vision ...après quarante deux jours de mer et de solitude absolue, elle est toujours émouvante cette première vision de la terre retrouvée.
Nous sommes à sept milles nautiques de distance seulement, et notre radar vient tout juste de la détecter par intermittence, depuis quelques minutes. Il faut bien reconnaître que les têtes de cocotiers ne constituent pas de bons réflecteurs de micro-ondes !
Si l'île ne possède pas de hauts bâtiments en béton ou de pylônes radio en acier, c'est le vide radar total. Sauf de très près, moins de quatre nautiques, lorsque les parties basses des troncs, plus denses, donnent quelques échos... Amanu défile sur main droite. L'émotion grandit, tout comme les cocotiers sur les îlots de sable et, bientôt, c'est l'atoll d'Hao, son voisin tout proche et terre promise, qui apparaît devant l'étrave...
Il est quatorze heures trente. Nous sommes dans la passe Kaki, bief d'accès au lagon d'Hao. Le courant est pratiquement nul, la marée étale. Nos savants calculs, effectués à partir de nos "Tabletas Argentinas", ne sont pas aussi faux qu'ils y paraissaient ...puisqu'ils sont mêmes parfaitement juste ! Après six semaines de solitude et de monotonie chromatique, comme tous nos prédécesseurs marins venus des continentales Amériques, nous découvrons, éblouis, la beauté lumineuse, le charme coloré, nuancé et envoûtant d'un lagon. Nous sentons l'ivresse folle des parfums émanant de cette chose curieuse flottant sur l'océan comme une immense couronne de fleurs oubliée à la dérive : l'atoll !
Vision paradisiaque d'un nouveau-né sur le monde, nous buvons des yeux tout le décor...
Il y a quatre cents atolls sur toute la planète. Les trois quarts d'entre eux sont situés dans le Pacifique, et la Polynésie à elle seule en compte cent trente-six ! Généralement de forme elliptique, plus ou moins régulier et à fleur d'eau, l'atoll ressemble à une fine couronne constituée d'îlots, les motus (en tahitien, c'est comme en espagnol : le "u" se prononce "ou", notez !) et de récifs coralliens pouvant être entrecoupés de saignées profondes : les passes. Elles sont de véritables exutoires naturels aux caprices de l'océan. Des petites échancrures de surface, plus ou moins étalées entre les motus, permettent aux vagues du large d'emplir le lagon intérieur. Ce sont les hoa , en quelques sortes les déversoirs. Ça, c'est pour la partie visible de l'atoll. Mais comment cette couronne si fragile au premier abord, si friable de consistance, tient-elle tête aux assauts répétés de l'océan ?
Un petit survol éclair dans la nuit des temps permet de résumer la géomorphologie d'un atoll.
Il était une fois, nous dit la Bible...
" Au commencement... Que les eaux qui sont sous le ciel s'amassent en une seule masse et qu'apparaisse le continent ...la Terre. Il y eut un soir, il y eut un matin : Troisième jour de la création du monde ". Versets 9, chapitre premier de la Genèse...
C'est un peu vague tout cela... Mais les savants aujourd'hui nous donnent des précisions très intéressantes…
Il était une fois, nous dit la "Science"...
"Il y a quatre milliards d'années, sur notre Pangée originelle..." ...Comme il y en a des montagnes d'écriture sur le sujet, je ne vous livre qu'une petite recette condensée de ma composition... Elle n'a aucune valeur scientifique, mais elle a le mérite d'être simple.
Au commencement donc.../... l'activité sismique fait émerger des profondeurs de l'océan une île qui demeure très longtemps un volcan actif. Stabilisé sur son socle basaltique, la vie s'installe à terre, comme dans l'eau, à ses pieds, sous la surface. Les siècles passent par dizaines, centaines, milliers... Pendant ce temps l'activité volcanique diminue puis, un jour, cesse. Mais, déjà, l'érosion fait son œuvre... Les coraux et les madrépores envahissent son pourtour jusqu'à la profondeur où se perd la lumière nourricière, à environ cent cinquante mètres de la surface. A partir de ce jour, inexorablement, une muraille vivante s'érige à la vitesse d'un mètre par siècle environ. Le plâtier externe se construit, en constante évolution, sur toute la surface périmétrale de l'île. Tout simplement, l'atoll vient de naître.
Pendant ce même temps, notre terre, elle, continue de tourner, de vivre. Avec les milliers, ou les millions d'années, le support magmatique du fond de l'océan se déforme encore et toujours, glisse vers les zones abyssales de subduction. Notre île, notre exemple, notre volcan éteint, s'enfonce alors doucement sur son siège qui s'affaisse sur lui-même dans la gloutonne et mouvante lithosphère ! Le déplacement est très lent. Tellement ralenti, que chaque année, nos petites bêtes madréporiques et coralliennes, c'est le miracle de la vie, continuent à tour de bras amoureux, de construire et de remonter sans cesse le squelette de calcaire qui supporte l'édifice. Toute la communauté vivante conserve ainsi, dans les "hauteurs" sous la surface, sa place dans la partie éclairée de l'océan.
Débutée probablement à l'ère secondaire vers le Jurassique ou le Crétacé, il y a quelques cent ou cent cinquante millions d'années, les étages géologiques passent, l'œuvre temporelle se poursuit... La période Holocène de notre ère quaternaire arrive, s'installe sur le calendrier devenu Grégorien et nous voici bientôt en 1992, ce lundi 26 octobre très exactement, lorsque l'équipage du Kerguelen entre dans l'atoll d'Hao en se posant tant de questions...!
Dans les archipels centre et Sud nous retrouvons, aujourd'hui encore, tous les stades de cette longue évolution. Pour exemples voici Hawaï, où les volcans en activité sont nombreux. Egalement les Marquises et l'île même de Tahiti dont les volcans sont tous éteints avec des ceintures coralliennes jeunes, peu étendues. Puis Bora Bora qui est un cas typique de la phase intermédiaire de l'effondrement de l'île. Il ne reste plus qu'une petite crête centrale encore émergée, tandis que le lagon s'agrandit avec des colonies madréporaires étendues... Dernier stade de la dénudation, l'atoll comme celui d'Hao ou nous entrons en ce moment même. L'île originelle a été complètement engloutie sous le lagon. C'est la phase terminale de l'évolution, un paradis...! Le Paradis...? On pourrait cependant y ajouter une autre forme particulière et occultée des regards indiscrets : le guyot. Lors de son évolution, dans ce dernier cas précis, l'île avec son volcan et ses plâtiers adjacents, a disparu d'un seul coup. Soit par élévation rapide du niveau des océans, soit par effondrement brutal du socle porteur en dessous de la profondeur critique de pénétration de la lumière, mais dans les deux cas, cette phase est accidentelle, "eustatique" nous disent les géologues. Alors, d'un coup, toute vie a cessé sur les champs coralliens engloutis donnant aujourd'hui ces mystérieuses montagnes aplaties. Elles ne sont que des atolls "morts", submergés, et forment des hauts-fonds très particuliers comme ceux dans le Sud de l'archipel de la Société. Ces guyots sont très nombreux dans tout le Pacifique Ouest (Nord et Sud) et témoignent peut-être d'une ère cataclysmique encore visible dans cette partie sous-marine du globe...
Mais que sont vraiment ces millions d'années d'existence aux regards de nos tachymètres, de nos chronomètres, qui tranchent sans pitié nos jours en heures, nos minutes en secondes...?
En quelques instants seulement, Kerguelen se retrouve à l'intérieur du lagon. C'est un autre monde. L'eau est calme comme un miroir qui se réfléchit sous la base des nuages. Lorsque ceux-ci se stratifient en couches planes et soudées, ils renvoient de la même manière les images des motus pourtant très éloignés et invisibles derrière l'horizon apparent. Les deux surfaces parallèles font naître ainsi ces mirages qui faisaient voir à nos ancêtres, sur leurs galions, des vaisseaux fantômes, parfois des îles inconnues. Le tafia a eu bon dos à cette époque pour discréditer leurs apparitions, leurs légendes, leurs fables de marins... Pourtant, eux n'avaient pas rêvé, ils avaient bien vu, de leurs yeux vus, ces phénomènes étranges. Ils ne pouvaient les expliquer, tout simplement. Présents également dans les déserts comme les "fata-morgana", ils ont suscité bien des mythes, bien des prières... Nous en avons ici, en entrant dans la passe Kaki, une étonnante démonstration.
Une galette nimbée occupe la verticale du lagon, nous y admirons l'île qui s'y reflète.
L'atoll d'Hao qui nous accueille est d'une conception typique.
Quatre hoa exposés au vent et à la mer dans son extrémité Sud-est viennent remplir le lagon au rythme des marées et des tempêtes. Sous le vent dominant dans la ceinture Nord-ouest, une seule passe profonde le vidange : c'est la passe Kaki que nous venons de franchir.
Nos corps endoloris après un mois et demi de "machine à laver" comme nous qualifions volontiers les étapes plus longues ou difficiles, se gavent de bien-être, rayonnent de chaleur, s'imprègnent de sensualité et de beauté naïve... Nous nous dirigeons vers l'unique village : Otépa. Nous devrions pouvoir y trouver un mouillage, et la première chose à faire, ce sont les formalités d'entrée sur le Territoire polynésien. Le lagon étant parsemé de hauts-fonds, nous suivons tranquillement les chenaux, au demeurant parfaitement balisés. Des bancs étincelants au soleil apparaissent ici et là, ils sont couverts de milleporas. Plus inquiétantes et sournoises sont les "patates", on les devine seulement sous la surface. Ce sont de très grosses boules de corail qui parsèment les fonds, elles passent, fantomatiques.
En arrivant vers le village, une vedette rapide se précipite à notre rencontre. Nous n'avons pas besoin d'aller vers les autorités militaires, se dit-on intérieurement, ce sont elles qui viennent à nous. Nous n'en sommes pas le moins du monde étonnés : l'atoll d'Hao est une importante base inter armée. Elle sert de support logistique et technique pour les atolls de Mururoa et de Fangataofa, lieux d'expérimentations nucléaires européens, dans l'archipel voisin des Gambiers. C'est même un peu pour cette raison que l'on a choisi de s'y arrêter. Les militaires sont des gens compétents en matière technique, bien souvent dévoués et accueillants - lorsqu'ils ne sont pas en guerre ! - , alors on y va bien tranquilles...
Depuis le speed boat, après nous avoir aimablement salués, le lieutenant de vaisseau Kerlault, commandant la base, nous interpelle...
- Vous avez une autorisation pour venir ici ?
- Euuhhh.... ( vous avez certainement remarqué, quand on est surpris, c'est toujours le premier mot, interjectif du langage universel, qui vient à la bouche... C'est probablement une résurgence lointaine de nos états originels de mammifères primates et quadrupèdes...! )
- Euh... Eh bien, euh... Non, pourquoi ? Ce n'est pas spécifié dans les Instructions Nautiques qui émanent de vous, enfin de la Marine Nationale... Celles que nous avons précisent même qu'il y a un bureau de douane ici !... Tenez, regardez vous-mêmes ! Et nous, d'aller chercher le bouquin du SHOM en question.
- Désolé, mais sans autorisation, ce n'est pas possible de faire escale ici, de plus la navigation est réglementée dans tout le "quadrant d'Anaa", au Sud du dix-huitième...!
...J'ai bien habité Louis Blanc dans le dixième mais, cette "Anna" du dix-huitième... Je ne vois pas du tout qui ça peut être... Cette "Parisienne" et cette histoire de cadran ...encore moins ! Je m'égare complètement. Ah, mais peu importe...!
- Même pour un navire français ?, lançais-je timidement en retrouvant le "sol"...
- Même pour un voilier breton ! ( eh oui : Kerguelen ; c'est signé !)
- Ah bon ! Silence gêné...
Toute la petite famille Kerguelen, alignée sur le pont comme à la revue des troupes, baisse le nez et le grand bonheur de l'atterrissage sur la Polynésie s'efface de nos visages... On n'entre pas au paradis sans lettre de créance !
- Nous arrivons du Chili mon Capitaine, nous avons fait quarante jours de mer... Nous avons eu de la casse avec une dépression, il y a trois jours à peine...
- Oui..., je vous crois bien volontiers, nous l'avons eue ici nous aussi... C'est l'arrivée de la saison des pluies... Ah, c'est du mauvais temps pour les marins, un temps de chien, c'est sûr ! Mais le règlement...
Il nous concède cela en s'évadant dans des pensées compatissantes, du moins, c'est ce que nous pensons intérieurement. Il faut positiver, n'est-ce pas ? Alors positivons !
- On souhaiterait réparer la casse, même sans descendre à terre et repartir aussitôt... S'il vous plaît, mon capitaine, on n'en demande pas plus !
Un des trois représentants de la "Royale" monte à bord, vérifie nos papiers. Tout est en règle, sauf l'autorisation pour Hao, bien sûr. Il jette aussi un coup d'œil circonspect dans le bâtiment. Sur le pont, rien ne semble suspect, même avec trois pavillons différents. Ceux européen et français flottent à la poupe, celui de la Bretagne au guidon d'honneur : rien ne cloche ! Nous n'avons pas spécialement l'allure de terroristes internationaux, encore moins de membres du Greenpeace fan-club... Bien que la couleur du bateau, noire avec un arc-en-ciel barrant toute la coque, ne soit pas sans rappeler "quelque chose"... La similitude est d'autant plus frappante, que c'est ici, comme par hasard, sur cet atoll d'Hao que se trouvaient en détention résidentielle les Agents de la France secrète (rapellez-vous l'histoire des faux-époux Turrenge) ... Mais notre bateau à nous s'appelle Kerguelen, et il n'a rien d'un guerrier, (warrior) même s'il possède un bel arc-en-ciel (rainbow) !
Le grand patron de la base nous invite à le suivre dans son sillage. Il nous montre le meilleur mouillage devant le village d'Otépa. En attendant...
Le Big Boss est marin, c'est sûr ...breton, cela va de soi ...humain pensons-nous, forcément. Une fois installés au mouillage, il nous demande d'aller nous présenter à la gendar-merie, dès que possible. Ce sont eux les représentants de l'Etat sur l'île et, eux seuls décideront de notre sort en dernier recours.
Ainsi soit-il !
Nous avons croisé des regards francs et compréhensifs chez les marins, reste à tester ceux de la maréchaussée. L'espoir renaît. Les sourires reviennent sur nos visages, et le grand déballage commence... Ce rituel du débarquement est un peu plus long qu'à l'accoutumée car tout le matériel est rangé, arrimé, assuré, souqué, coincé, quand il n'est pas franchement relégué au fond des coffres...
Nous sommes toujours sur Hao, atoll tabou des Tuamotu.
Pendant ces préparatifs un attroupement s'est formé au coin du port, juste en face du bateau qui revêt son caractère de maison flottante. Nous sommes seulement le sixième bateau de plaisance à visiter cet atoll de toute son existence. C'est dire la chose curieuse que nous sommes encore. Un groupe d'enfants s'agite sur la berge. Ils nous guettent…
- Tout est paré ? On y va !
C'est carrément l'assaut lorsque nous abordons le remblai de corail mort qui constitue le quai des piroguiers. Il devient même difficile de sortir de l'annexe et mettre le pied à terre, tellement nous sommes assaillis, bousculés, pressés de questions par les enfants du village qui veulent tout savoir avant les autres... Escortés par cette horde gazouillante, nous arrivons en meute à la gendarmerie. Pour une arrivée incognito, c'est plutôt raté ! L'adjoint de service nous reçoit et nous annonce que le chef de brigade est parti à la Marine, pour nous, les "Kerguelen"... Pour nous qui sommes des amoureux de la discrétion absolue, des adeptes de la transparence, des partisans du mimétisme : c'est encore raté. Nous n'aimons pas du tout nous faire remarquer et pour aujourd'hui, cette fois, nous avons "tout faux" comme on dit. Le moral, qui remontait vers le beau presque fixe, repasse au variable. Décidément l'humeur est comme la pression du baromètre, changeante.
Ces premiers pas sur le fenoa polynésien nous donne le "mal de terre". Le sol bouge bizarrement. Nous avançons par à-coups, à contretemps, à contre-pieds, on dirait que nous sommes désarticulés, comme des pantins sur une piste de manège... Nous regagnons notre bord ; là au moins, ça bouge "normalement"...! Cette expérience du débarquement est toujours surprenante et drôle après des semaines et des semaines de vie dansante, passées sur le doux plafond des dauphins, nos anges gardiens...
Petit appel radio à la Marine et rendez-vous est pris pour le lendemain. Finalement rien ne presse, nous dit-on. Cette rémission momentanée nous octroie, au moins dans l'immédiat une nuit de repos, sans quart ni veille. Merci beaucoup monsieur le Capitaine, rien que pour cette nuit entière de sommeil, de tout cœur, merci.
A la base marine, le lendemain matin, finalement tout s'arrange après avoir signé le rapport de gendarmerie dressé pour l'occasion. Solennellement le conseil des sages nous accorde le temps nécessaire pour réparer et aussi pour nous reposer un peu avant de continuer la route, à notre convenance. C'est comme cela que nous avions d'ailleurs présenté les choses pour la suite du voyage. Eh, bien... Merci Monsieur du gendarme, vous êtes le phénix des hôtes d'Otépa !
Le personnel de la marine nous accueille à bras ouverts et nous propose tous leurs services. Le plein d'eau est effectué, une grande lessive de printemps remet en ordre les penderies et les équipets. Tout le matériel cassé, décousu, est remis en état sans délais...
Ces gens, militaires ordonnés, somme toute terriens, ne peuvent savoir à quel point cela nous comble réellement de joie de pouvoir retrouver un bateau propre, du linge doux et sec. Ce bien-être, ce bien vivre est si vite perdu en haute mer, domaine agressif du sel et de l'humidité. Ce toilettage nous permettra d'arriver à Tahiti plus sereins, plus disponibles... En plus, ils nous gratifient de cadeaux somptueux pour le marin qui débarque d'une longue traversée : pain frais, camembert, saucisson ...que sais-je encore ? Le repas sera royal, vraiment ! Merci mille fois, amis de la Marine. Vous ne pouvez pas imaginer cette joie puérile mais réelle. Alléluia !
A ceux qui n'ont jamais quitté le doux cocon de l'abondance, nous avons une envie folle de leur crier la valeur d'un simple verre d'eau douce... Ils ne soupçonnent pas leur immense richesse... Pourtant... Nous autres, tsiganes des océans, voyageurs du bout des mondes, galériens des éléments, la mer a su nous montrer les valeurs réelles de l'existence. Apprendre à discerner l'utile de l'agréable, l'indispensable du superflu, à choisir entre exister et vivre... N'abusons pas de la nature, c'est elle qui nous permet la jouissance de la vie qui s'écoule tout simplement... Nous devrions la respecter bien davantage.
Le bonheur, se dit-on souvent au fond de nous-mêmes, c'est ce qui reste quand on n'a plus rien !
Pendant cette semaine d'escale inattendue, nous allons découvrir et partager cette vie singulière, privilégiée peut-être, d'un îlot polynésien.
Nous sommes sur Hao, un petit paradis mais aussi un atoll tabou des Tuamotu..
Suite du TOME II... Chapitre 204...
Photo de Kerguelen dans les glaces près du Cap Horn...
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