Chapitre 202 - Au Pays de la Soif
Chapitre 202
AU PAYS DE LA SOIF
"Da me agua !" - Donnez-moi de l'eau !
Vous pensez peut-être que cette supplique est l'ultime volonté d'un touriste espagnol épuisé de soif dans le Sahara ?
Eh bien, non ! Celui qui "demande", implore, est déjà mort et enterré depuis fort longtemps, semble-t-il ! Et cette inscription gravée sur sa stèle funéraire est le dernier message du défunt aux rares passants, aux nomades du désert que nous sommes.
- Il faut peut-être arroser les fleurs ? Entonnons-nous en chœur, tout en arrêtant la voiture sur le bas côté de la piste.
Effectivement, quelques petites plantes grasses réussissent à pousser, à fleurir même, dans les interstices des roches, cet empilement de caillasses qui constitue la tombe ! Alors, en bons Samaritains, et, comme c'est pour nous la seule explication plausible et poétique à cette épitaphe pour le moins originale, nous versons un peu de cette denrée si rare et si précieuse, ici, au pays de la soif : de l'eau douce !
Nous sommes au cœur du désert d'Atacama (Voir nota1 en bas), sur la route de Calama, et nous venons juste de quitter la belle route Panaméricaine pour una pista de ripio , une piste à peine remblayée de déchets de mine. Cette halte n'était pas prévue, mais le hasard nous a amenés là… S'il n'y avait pas eu cette plaque gravée, poussiéreuse, à peine visible, qui aurait pu deviner que ce cairn anodin était en réalité une tombe ? Partout alentour, dans le désert, des amoncellements de pierres balisent ça et là, fièrement, les immenses et successives concessions minières. Cette sépulture leur ressemble à s'y méprendre.
Sur la carte routière le prochain arrêt est le point marqué par la rencontre de la ligne imaginaire du tropique du Capricorne avec la route Panaméricana Norte. Un énorme bloc de minerai de cuivre, dressé là comme un menhir symbolise le passage, la limite zénithale du soleil en ce point précis du globe. C'est un très joli don du Chileno Rotary Club. Pour une fois que nous passons un Tropique sur la terre ferme, que nous le touchons du doigt, nous ne manquons pas de fixer l'événement sur la pellicule !
Ce voyage est notre dernière incartade à l'intérieur de ce pays tout en longueur, tout en hauteur qu'est le Chili. Ce nom signifie bien "piment" en espagnol ? Eh bien, c'est exactement cela, il a la forme d'un fin piment !
Nous nous rendons à Calama pour aller visiter les mines de cuivre de Chuquicamata, les plus grandes du monde à ciel ouvert.
Le "trou", ce mot paraît ridicule, on aurait plutôt envie de dire le vide... Enfin le trou, disais-je, mesure 4500 mètres de longueur, 2200 de large pour 700 m. de profondeur !Oui, c'est bien cela, un vide, une immense cratère qui plonge en escalier dans les entrailles de la terre comme le Colisée dans la dynastie des Flaviens. Une fosse sans nul doute visible depuis la lune, que des mineurs, devenus fourmis microscopiques, continuent d'agrandir à coups ininterrompus de dynamite ! Près de cent tonnes de produits "Nobel" sont consommées, fulminées, désintégrées chaque jour.
Ce lieu est un démentiel champ de guerre...!
Une seule tonne d'explosifs permet de réduire en gravats 5000 tonnes de rochers qui, transportés par une noria de dumpers géants ( pour cet exemple 22 suffisent, ils possèdent une capacité unitaire de 230 tonnes !!! ), vont donner, après trituration, un peu plus de trois tonnes de cuivre pur et un petit quintal de molybdène. J'ai une sainte horreur des chiffres crus liés aux statistiques (toujours indigestes) mais cette présentation, en menu simplifié, permet de mieux mesurer le gigantisme de l'entreprise. Cette année, 750 000 tonnes de cuivre seront produites sur ce site! Seul Jonathan Swift aurait pu imaginer un tel scénario pour son héros Gulliver !
La visite guidée nous montre la fonderie avec ses convertisseurs géants qui crachent le métal en fusion, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tels des dragons en colère. Des godets monstrueux pendouillent, circulent, se croisent sous des portiques gigantesques... Puis vient toute la chaîne des sous-produits, extraits ou transformés, obtenus par l'élaboration du cuivre électrolytique tels que molybdène, cobalt, or, argent, mercure, soufre, acide sulfurique.
Le complexe minéralier du Chuquicamata est une ruche humaine qui bourdonne inlassablement au milieu des fournaises du diable !
Poussières dessiccatives dissipées sur les fronts de taille, nuages de gaz soufrés vomis par les hautes cheminées, ronflements assourdissants générés dans les gueules béantes des fours rotatifs ou vibrations infra soniques soufflées par les explosions souterraines, la vie sur ce site n'est pas de dimension humaine...
Anne prend peur... Elle tremblote en écrasant dans ses bras son cher Boulili...
- Ne t'inquiètes pas Nanou, on descend du car tout de suite, lui dis-je. Mais au même instant...
- Por favor, Señorita... Olvide su casco !
- S'il vous plaît, mademoiselle... Vous oubliez votre casque.
- Qui est-ce la "tête-en-l'air" ? Nanou ! Puis il reprend…
- Por favor, Señoras, Señoritas y Señores...
- Ah, tiens ! Non, on ne descend pas
- ...Exceptionnellement aujourd'hui, reprend notre guide porion, vous allez pouvoir assister à un tir, plus exactement à deux tirs simultanés... Pas le droit de descendre du bus, mais vous allez ouvrir toutes les vitres ...et pour ceux qui ont les oreilles fragiles, vous devrez garder la bouche ouverte... De acuerdo ?... Ne vous inquiétez pas, ce sont de petits tirs, il y a seulement ...soixante tonnes de Dynamite.
Un OUAAAH général suit ses derniers mots, il y a de quoi !
Des regards interrogateurs se croisent... Quelques rictus viennent pincer les lèvres sur les visages de certains, ou suggérer quelque envie pressante chez d'autres...
- Cuidado ... Attention... 5, 4, 3, 2, 1, Feu ! et, ...BOUM !
A 80 milli-secondes d'écart les uns des autres, les 104 forages de 18 mètres de profondeur chacun arrachent du sommeil le sous-sol endormi.
Témoins stupéfaits de cette besogne de titans, nous pensons que décidément l'enfer n'est pas seulement une invention punitive pour l'au-delà, non, c'est aussi l'œuvre humaine et quotidienne, bien matérielle, comme celle de la mine de cuivre du Chuquicamata. Dans ce décor naturel de roches et de poussières, où le feu règne en maître, le ciel a voulu, comble d'ironie, qu'il ne pleuve jamais ici. Le désert d'Atacama est, pour cette raison, l'un des plus dur de la planète... L'œil n'arrive pas à accrocher un seul brin d'herbe, un seul éclat de vie. Dans tout ce pierrier, l'animal, le végétal n'existe pas. Nous sommes au règne exclusif du minéral. Contrairement à l'image traditionnelle que l'on se fait d'une zone désertique, ici, dans l'Atacama, il n'y a pas un seul grain de sable, excepté sur la côte, bien sûr, et dans quelques placers (nom spécifique des sites miniers) très localisés. Autour de nous, c'est un océan de cailloux. On ne voit que des pierres déchiquetées, de toutes formes, de toutes couleurs et, s'il n'y avait pas cette "base", il n'y aurait pas de vie du tout, aucune. Vision irréelle et fugitive, nous sommes transposés, le temps d'un regard, sur une autre planète...
La piste continue, monte, monte vers la frontière bolivienne...
Nous atteignons les derniers contreforts de la Cordillera Central. Les geysers d'El Tatio nous montrent, à plus de quatre mille mètres d'altitude, comment, chaque jour à son réveil, la croûte terrestre expire du plus profond de ses évents. Des sources d'eau chaude et sulfureuse jaillissent parfois, elles sont l'occasion de se réhydrater, de se baigner même pour les enfants qui ne craignent pas le froid ambiant : neuf degrés seulement malgré un soleil intense.
Un peu plus vers le Sud, en contrebas, juste au sortir de la vallée de la Luna, se dévoile l'immensité du Salar de Atacama...
Véritable mer de sel, pétrifiée dans des arabesques invraisemblables, elle rassemble des milliers de flamants roses en colonies migratoires. En quête de leur nourriture microscopique, ils déambulent dans les lagunes fortement iodées, presque rouges, par petits groupes denses.
Points de jonction frontalière avec l'Argentine, tous les cerros, les sommets avoisinants, culminent entre 5500 et 6000 mètres d'altitude... Ils sont les majestueux gardiens de ces regs !
D'altitude ...ce coup d'œil est divin !
Le ciel est d'un bleu profond, acier. L'oxygène, rare mais fortement ionisé, nous laisse un arrière goût d'ozone dans la gorge. Les mécanismes allotropiques nous envahissent, et le soroche , cette ivresse de l'altitude, nous gagne insidieusement...
Autour de nous il n'y a plus aucun mouvement, plus aucun bruit. Assis tous les quatre sur un tas de roches nous contemplons émerveillés cet admirable monde de rêve déposé là, à nos pieds... Le temps s'est dilaté, nos corps matériels nous échappent... Nous ressentons à nouveau le même "vide" intérieur que sur l'Amazone... C'est peut-être cela le nirvâna !
Tout à coup, sous nos yeux aveuglés de lumière, là, dans la chaîne montagneuse, à peut-être 15 ou 20 kilomètres de distance, un volcan se réveille. Silencieux, il crache dans les plus hautes couches de la troposphère un inquiétant panache, bourgeonnant de vapeurs et de poussières, blanc... ocre... orangé... violacé...
Nous sommes subjugués... Nous n'osons plus bouger...
Nos oreilles, tout attentives, ne décèlent pas un millième de décibel dans l'éther cosmique qui nous entoure...
Mi-curieux, mi-méfiants, nous attendons !... Car le boum, le bing, le bang, enfin le bruit quoi, va forcément nous parvenir dans quelques secondes, c'est certain !
Il se passe exactement une minute et demie, autrement dit une éternité, avant que l'onde, en grondements sourds, ne nous parvienne jusqu'aux "vestibules" ! Incroyable, nous serions donc à environ 30 kilomètres du phénomène, le double pratiquement de notre estimation ! Là encore notre regard n'a plus de références humaines. Nous aurions bien cru pouvoir, enfin presque, toucher du doigt, prendre dans nos mains, toutes ces montagnes : ces pâtés de sable, si petits, si proches...
Nous saurons un peu plus tard, par les journaux, qu'il s'agissait du volcano Lascar ( oh le grand "coquin" ! ), il reprend du service après 60 années de léthargie…
Après quatre jours d'explorations captivantes, de passions heuristiques, de secrètes découvertes, couverts de sel, de souvenirs et de poussière, nous repassons dans l'autre sens le contrôle douanier de Toconao. Une nouvelle fois, nous revenons avec une caisse de cailloux dorés, de pierres à paillettes, de roches irisées, de nodules denses, d'agrégats cristallisés... Ce sont encore de petits morceaux du "Trésor des Kerguelen" !
Nous n'avons pourtant pas quitté les limites territoriales du Chili mais il nous faut quand même faire des formalités de police. Dans cette région de l'altiplano désertique des pistes occasionnelles relient à travers les Andes les trois états voisins de l'Argentine, de la Bolivie et un peu plus haut, du Pérou. L'imagination fertile des aventuriers, la témérité aveugle des contrebandiers ou l'audace suicidaire des trafiquants n'est pas loin. La réalité dépasse même parfois la fiction dans ce domaine... Nous nous exécutons avec politesse devant les fonctionnaires en habits verts, toujours très courtois.
La route de la descente reprend maintenant vers Antofagasta et son éternel manteau de brume matinale : la camanchaca !
Traversant la Pampa del Indio Muerto, nous prenons le temps de visiter les anciens villages miniers des Salitreras.
Sur la quarantaine d'oficinas , les stations minières, très actives en ce début de siècle, seulement quelques-unes subsistent encore aujourd'hui dans la région de Maria Elena et de San Pedro de Valdivia. Ces "salpétrières" produisent, en utilisant l'abondante énergie solaire du désert, des nitrates, potasses et autres engrais, extraits des caliches, minerais phosphates blancs très friables qui jonchent le sol et ressemblent à s'y tromper à des blocs de sel !
Tous ces villages de mineurs sont en ruines, depuis longtemps abandonnés. Il ne reste que les murs d'enceinte des maisons, délabrés... Leurs cimetières attenants, sombres de ferronneries rouillées, de couronnes éparpillées et de fleurs jaunies, donnent un air de tristesse à ces endroits chargés d'émotion, de rêves engloutis...
En lisant les noms gravés sur les petites croix de bois, complètement lyophilisées par la sécheresse, on devine l'origine de ces travailleurs immigrants venus ici chercher fortune jusque vers les années 50. Sur les petites plaques émaillées de bleu, on y voit des noms baltes, slaves, germaniques ou latins ; les familles patronymiques signent leurs sources. La fièvre de l'or, accompagnée de la grande crise économique des années folles, avaient drainé l'Europe tout entière, depuis les Carpates, jusqu'à cet endroit désolé du bout du monde.
Il se dégage de toute cette vallée quelque chose de mystérieux, d'envoûtant...
Longeant la route panaméricaine, un peu en retrait côté montagne, l'unique voie ferrée desservant la mine de "Chuqui" depuis Antofagasta s'étire mollement en un interminable ruban. Etincelants sous le soleil, les longs et lents convois de cuivre descendent des hauteurs. Geignants de douleurs, soufflants d'efforts, crissants d'usure, ils rampent jusqu'à la mer, au bord des quais, livrer leurs valeureux fardeaux... A leur retour, ils remonteront la pente chargés d'explosifs à en faire pâlir de jalousie les artificiers de Titusville !... Vous avez dit 3000 tonnes votre "pétard" ...enfin, je veux dire votre Navette Spatiale ?... Bagatelle...!
Sur l'autre bord de la panaméricaine les adductions d'eau de la capitale régionale serpentent silencieusement jusqu'à la cordillère centrale, à 250 kilomètres de là ! Des stations de pompage haute pression propulsent l'eau sous 90 Bars et à 140 Kms/heure dans des conduites forcées, tous les 30 kilomètres environ.
Curieux comme des pies au printemps dans un clocher, nous allons discuter avec un technicien de l'une des stations. Il est particulièrement heureux de nous faire découvrir son travail, toute sa raison d'être, ici-haut. Pour les enfants qui ne se sont jamais usé les fonds de culottes sur des bancs de classe, c'est une belle et fabuleuse leçon de chose, de sciences physiques et de langue vivante. Que demander de plus à notre vie de bohême ? Nous aussi, "les grands", écoutons passionnés, regardons étonnés les merveilles de la technologie new génération , dans le sifflement des turbines... Toute l'économie de cette Secunda Région repose sur ces trois grosses canalisations venues de la Serra. Elles sont les artères, sources de vie, de la grande cité Atacamenos.
Tout juste rentrés au Yate-Club, après cette visite, de fortes et dangereuses lames de fond nous obligent à quitter les lieux en catastrophe... Nous sommes encore dans la fin de l'hiver austral et une nouvelle dépression passe sur Valparaiso. La côte chilienne offre décidément bien peu de protection aux longues houles du Sud...
Nous déménageons pour le port de commerce, situé juste à côté. Après une nuit fortement agitée le long de ces grands quais nous décidons de partir à nouveau. La vie à bord d'un voilier est rendue difficile par le mauvais temps, et ceci sur toutes les mers du globe… Nous allons nous amarrer sur un coffre de gazoduc cette fois (la Caleta Chimba). C'est une minuscule anse protégée par un îlot, juste à la sortie de la ville. Mais la journée est tout aussi "dansante" et nous décidons de rechercher une fois de plus un mouillage plus sûr. Le comodoro, le président du Yate-club, nous assure qu'il y a un bon abri à Mejillones. C'est à une journée de voile d'Antofagasta. Eh bien allons-y pour Mejillones...!
Port de pêche d'une certaine importance, Mejillones est situé au fond d'une grande et jolie baie, ouverte au Nord, parfaitement protégée par une presqu'île du même nom. Mais c'est aussi une petite bourgade, cela ne facilitera pas les choses pour notre avitaillement du grand départ. Cette sacrée houle de Sud nous déloge et nous refoule toujours de plus en plus haut. A ce régime, nous allons bientôt atteindre la frontière péruvienne !
C'est à la nuit tombante, accueillis en héros que nous faisons notre entrée dans le port endormi. Du moins, de loin le paraissait-il... Par radio, tous les pêcheurs, tous les habitants savent déjà que nous avons pris en remorque un petit chalutier en détresse dans le mauvais temps. Il s'appelle El Griégo et est immatriculé à Arica. A terre peu de familles possèdent le téléphone mais en revanche, nombreux sont ceux qui ont un émetteur Cibi (poste radioamateur de la Citizen Band) : pêcheurs, commerçants, artisans, taxis, entrepreneurs, principalement... Alors, dans ces conditions, le confidentiel, le secret-défense n'existe pas ! Bien au contraire, le moindre événement, même anodin, anime toute la communauté par la voie des ondes... On sait donc à Mejillones que El Griégo est retrouvé. Il arrive...
Avec ses cinq hommes d'équipage et ses douze mètres de longueur, le bateau de pêche que nous traînons depuis ce midi est finalement plus imposant que Kerguelen !
Les pontons de bois s'animent à notre arrivée. Tout le monde se presse, s'agglutine, gesticule et se congratule avec fraternité... Occupés en manœuvres délicates nous ne saisissons que par bribes tout ce qui se raconte sur le sauvetage...
Vu de notre bord, cela n'a pas été évident...
Ce pescadero nous avait paru bien téméraire de naviguer si près des falaises par ce temps de chien. D'autant que cette côte, en plus d'être sauvage et totalement inhabitée est parsemée de hauts-fonds dangereux... Et puis, à y regarder mieux, son allure avait quand même quelque chose de bizarre... Il bouchonnait au milieu des rochers... Un homme à l'avant semblait occuper à préparer le mouillage... Ses agrès inhabituels finirent par réveiller nos soupçons... Oui, bien sûr..., les cirés et les salopettes accrochés partout dans ses espars, ses mâtereaux, ne sont pas autre chose que des signaux de détresse !
Saperlipopette de bazar à roulette !!!
Aussitôt, je me précipite à la radio...
- Aqui el velero francés Fox Papa 6954 .../... cambio !
- Ya, vamos a la costa, por favor .../... Nous sommes en panne de moteur et nous allons vers les falaises... Pouvez-vous nous remorquer ?
- Por supuesto que si, momentito...
- Oka, gracias ! .../...
Le plan ORSEC - Organisation des Secours - sonne sur Kerguelen !
La manœuvre d'accrochage se passe beaucoup plus facilement que prévue et nous mesurons une fois encore toute l'importance de disposer à bord d'une très longue ligne de bout flottant. Nous avons mis à l'eau, dans notre sillage, 200 mètres d'haussière de 18 millimètres de diamètre. Les vagues, par effet de chasse, ont porté l'amarre loin sous notre vent, jusqu'au chalutier que nous avons doublé à son vent pendant ce temps au ralenti. Il ne restait plus qu'à rajouter un peu de toile puis le maître, que dis-je, l'aurige, a fouetté tous les chevaux de son serviteur mécanique pour ébranler l'attelage...
Les deux équipages sont parfaitement satisfaits de la manœuvre et, rassurés, tout le monde retourne à son almuerzo, tempête ou pas, remorquage ou pas, c'est quand même l'heure de déjeuner.
Par radio, nous contactons les autorités portuaires de Mejillones. Il nous semblerait plus sage de solliciter l'aide d'un remorqueur. Malheureusement il n'y en a pas sur place, nous dit-on… Pour en faire venir un depuis Antofagasta, en fin d'après midi, cela ressemble à une gageure... Il nous faut donc continuer seuls ; mais un 8 Beaufort établi, çà pousse ! C'est ce dernier appel qui déclenchera sur les ondes le gazouillis annonciateur. Les pêcheurs étaient portés disparus depuis 36 heures déjà, coïncidence maléfique, juste avec l'arrivée du mauvais temps.
En abordant le ponton dans la nuit tombante, des mains se tendent, des regards félicitent, des sourires remercient, des silences parlent... Un sac de jurel , encore, et un plein panier de jaïbas (des tourteaux) viennent récompenser notre assistance...
Gracias amigos, gracias marineros...
Les buvettes et les bistrots de Mejillones s'emplissent. Le pisco coule à flots dans les bodegas . Le tenancier de l'hôtel des Halles nous apporte même une cruche de chicha. C'est justement la saison du vin nouveau. Alors c'est l'occasion ou jamais de le goûter. Nous "toquons" à l'amitié de tous les marins..., de tous les pêcheurs..., de tous les navigateurs ...et du Kerguelen !
Petit à petit, le calme revient sur le plan d'eau de la Punta Angamos.
Nous en aurions presque oublié que nous sommes ici pour préparer notre traversée ! Il nous faudra bien encore une bonne semaine pour chercher, trouver, acheter, ramener, étiqueter, repérer, ranger, classer, noter, (assez !) toute l'intendance et la logistique nécessaire aux futurs trois mois de navigation hauturière. Prévoyants, nous emportons toujours une large réserve, en pratique le double du temps prévu de navigation, pour nous prémunir d'un éventuel démâtage...
Kerguelen se remplit comme un œuf, il n'y a plus un pouce carré de place. Même les vieilles chaussures superflues ont été débarquées, elles serviront peut-être à quelques enfants démunis.
Pour nous reposer du grand chargement, nous nous octroyons une pleine journée de promenade sur cette partie de la côte, théâtre de la célèbre et longue guerre du Pacifique. Nous visitons la corniche côtière jusqu'à l'ancien port bolivien de Cubija. Cette ville fantôme, en ruine, évoque la guerre du cuivre, la route de l'or, le chemin des Incas... Toute une époque de l'histoire, pré et post-colombienne, avec un grand H ! Mais cette Histoire là, il n'est pas nécessaire de vous la raconter, elle est écrite dans tous nos livres d'école.
Dans les falaises de la plage, interminables de solitudes, des veines de craie et de coquillages fossiles nous offrent de superbes souvenirs de l'histoire des océans, peut-être aussi celle des hommes ! Eocène...? Jurassique...? Carbonifère...? Cambrien...? Finalement, peu importe la période, l'ère ou l'étage, tout le plaisir est dans cette griserie de la recherche jusqu'à cet instant, oh suprême récompense, où l'œil accroche quelque chose qui fera votre bonheur et, votre bonheur à vous seul ! C'est aussi un peu de cela le trésor des Kerguelen.
Mercredi 16 septembre 1992. C'est le jour du grand départ...
Bien que fiévreusement occupés à préparer les importantes cérémonies nationales de l'indépendance - 18 et 19 septembre -, tout le personnel de la Capitania est là, au grand complet. Quelques-uns, que nous connaissons un peu mieux, ne cachent pas leur émotion car aucun bateau n'est jamais parti de ce petit port chilien pour traverser le Grand Pacifique... Tous, sans exception, se sont mis en quatre pour nous faciliter les formalités et nous aider dans nos démarches. Le capitaine en personne est allé à Antofagasta aux aurores, pour nous rapporter un dossier de prévisions météo complet, photos satellites et commentaires à l'appui... Le douanier, lui, s'est déplacé en autocar, chemin inverse, pour venir tamponner une dernière fois nos documents de navigation, nos passeports...
Ce départ restera pour nous un émouvant souvenir empreint d'une belle chaleur humaine. Nous quittons avec beaucoup d'émotion et de regrets le continent sud-américain, mais la saison n'attend pas, elle ne se soucie guère des sentiments, elle...
La formule a déjà été entendue, mais elle est bien vraie :
" Courage, fuyons vers l'horizon..."
Nota1 : Si vous n'avez rien contre le cheval, j'ai trouvé un site Web qui montre avec de belles photos à l'appui le désert d'Atacama sous un jour étonnant : en randonnée équestre ! Un "Carnet de Voyage" tout simplement superbe, c'est le désert d'Atacama ! ici...
Suite du TOME II... Chapitre 203...
Photo de Kerguelen dans les glaces près du Cap Horn...
Podium des sites annuaires pour le nombre de visites sur notre Blog...
http://voyageforum.com/voyage/budget_tour_monde_voile_D146130/
http://www.uniterre.com/r_carnets/carnets/recherche/carnet.php?id=8229
http://www.uniterre.com/annuaire/carnets-de-voyage/destination,/type,coups-de-coeur/objective,/mode,
http://kerguelen.blogtrafic.com/
http://www.web-libre.org/rto2.php?id=676146e02384d1b95d54608ca2c60009
http://www.des-blogs.com/blog/3292/____25_ans_autour_du_monde____.html
http://www.annuaire-blog.net/top_clics.php
http://www.banik.org/general/r%C3%A9cits.htm
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 230 autres membres