TOME 1 - Il Etait une Fois
Il était une fois...
Petit garçon, mon père m'emmenait le dimanche matin voir les grands bateaux amarrés tout le long des quais de la Fosse, à Nantes. Nous habitions alors près du port, dans le quartier de l'église Saint-Louis. Les fenêtres de l'appartement donnaient directement sur les jardins du musée Dobrée.
Tous ces cargos qui partaient à l'étale de la marée haute, en cornant dans la brume, me fascinaient. Chaque départ avait quelque chose de majestueux. Le rêve était déjà né. Moi aussi je partirai un jour sur un bateau pour découvrir le monde ! Ce monde inconnu, occulté, qui est là-bas derrière cet horizon si mystérieux...
Rêves d'enfants, c'est vrai, mais surtout petites étincelles de curiosité et de fureur de vivre qui vont conditionner toute mon existence. Cette idée de "partir un jour" m'aidera à surmonter bien des difficultés et à accepter les vicissitudes de la vie quotidienne.
Adolescent, je découvre l'aviation grâce à la télévision. Cette branche du transport est en plein essor. On peut dire même en mutation technologique, car c'est l'avènement des avions à réaction ! Séchant parfois toute une après-midi de cours, qui me paraissent superflus, je pars traîner des heures entières autour du terrain d'aviation de Château Bougon. Le bruit assourdissant des moteurs, l'odeur du kérosène brûlé, l'élégance des pilotes faisant la tournée d'inspection de leurs drôles de machines, me fascinent...
Un jour, aussi, je serai pilote !
Second rêve d'enfant qui, d'ailleurs, rejoint le premier pour boucler la trilogie de Dame Nature : terre, mer et air...
Un certain jeudi après-midi, devant ma curiosité et mon regard insistant de convoitise, un pilote du club me propose de faire un tour avec lui. C'est le baptême du feu sacré ! Je n'ai jamais eu le courage de raconter cette journée-là à mes parents. Mon père ne m'aurait pas pardonné cette dangereuse escapade ! Pourtant, il y en aura bien d'autres... Je ne sus que quelque temps plus tard qu'il s'agissait en fait de Gille Delamare et de sa célèbre équipe de cascadeurs (de cette époque !) qui s'entraînaient pour une tournée de présentation dans la région... Pour moi, adolescent, le rêve se fixe : je deviendrai pilote ! Ces soirs-là je rentrais à la maison surexcité, stupéfait par les figures un peu acrobatiques qu'avec le petit biplan nous avions effectuées au-dessus des marécages du lac de Grand Lieu. J'en oubliais même la peur, fasciné par cette minuscule machine volante qui semblait obéir immédiatement au doigt et à l'œil en évoluant dans la troisième dimension !
Pour moi, ce fut vraiment la révélation. Cette seconde passion sommeillera en moi durant de nombreuses années, faute de temps, et surtout faute d'argent !
La vie reprend son cours sur les rails du lycée. Il n'y a pas d'autre alternative possible, pas d'aiguillage avant la porte de sortie ! Puis c'est bientôt Mai 68 avec son cortège d'illusions, de déceptions et de temps perdu... On ne peut pas dire que cette année-là fut propice au labeur et à une bonne préparation pour des études supérieures ! J'interromps donc mon sursis pour effectuer le Service National. Puisque ces dix-huit mois sont perdus, autant les faire le plus tôt possible ; cela changera les idées après les "évènements"... Au retour, je reprends les études en cours du soir pour me lancer dans l'informatique, c'est le grand début de cette discipline. Après deux années bien remplies, je deviens inspecteur de maintenance dans une grande compagnie multinationale.
C'est le grand démarrage dans la vie professionnelle ! Il s'ensuit encore des cours, et des séminaires, et du bourrage de crâne à n'en plus finir... C'est la période de travail "sérieux"... Paris... Le Conservatoire des Arts et Métiers... Que ne ferait-on pas pour gagner du grade ?... Le syndrome du... the best and more !
Mais le travail et la patience paient toujours. Au point que bientôt, l'arbre se met à porter des fruits : les économies ! La tirelire grossit et vient réveiller les songes du petit garçon... Des songes qui ont été entretenus par la lecture de nombreux récits de navigateurs ayant fait le tour de la planète. Que de soirées j'ai passées à m'imprégner d'aventures fabuleuses aux quatre coins du monde, truffées de rencontres insolites ! Ce n'est pas seulement qu'elles vous incitent, mais plus, elles vous condamnent, ces histoires extraordinaires, à transformer vos plus vieux rêves en réalités !
Les projets se dessinent, une nouvelle ère se fait jour en moi, doucement mais sûrement. La chrysalide tisse son cocon, la mutation sera prochaine...
Chaque fin d'année professionnelle, en période de bilans, nous avons droit à une table ronde avec notre "haute hiérarchie". Il faut programmer un "plan de carrière", définir des "filières d'orientation" en tenant compte des "aspirations personnelles", disent les formules... Toutes ces belles phrases ne sont que de la poudre aux yeux ! Mais la carotte est en place ! Bientôt, pourquoi pas chef de groupe ? Peut-être même un jour chef de secteur si les opportunités... Que sais-je encore? Les formules sont plus que mielleuses et combien alléchantes ! Moi, dans mon petit monde de projets secrets, je n'écoute même pas ce que l'on me raconte... Oh, je réponds poliment, bien sûr ! Il faut toujours dire à son "chef" ce qu'il veut entendre ! Mais je m'efforce d'être et de rester un miroir sans tain !
Durant ces années j'ai vécu en fait avec une double personnalité. La première, concrète, réelle, qui vit canalisée dans l'entonnoir de la communauté laborieuse. La seconde, abstraite, virtuelle, qui prépare en secret, au-dessus du "tuyau", une autre vie, celle qui débutera bientôt. Je le sais... Je la sens déjà prendre corps...
Si nos responsables, du haut de leur perchoir d'intouchables, savaient lire entre les lignes, d'une part ils ne se prendraient pas tant au sérieux, mais surtout ils se rendraient compte de leur petitesse ! Ils ont une maladie incurable : le syndrome de la compétition ! Laissons-les, après tout, à leurs illusions malheureuses...
En copropriété avec un ami, j'achète un bateau. C'est un petit croiseur côtier tout en acajou de 6.50 mètres. Divers projets s'élaborent, sans lendemain... Avec un autre copain qui possède lui aussi un voilier, d'autres projets voient encore le jour... Mais nos buts divergent, son mariage vient anéantir complètement nos plans : l'élue de son cœur n'apprécie pas du tout le bateau !...
Ces déceptions ne me découragent pas du tout, au contraire, elles me renforcent même le moral en mettant en évidence une chose, en fin de compte, c'est seulement en couple qu'il doit être possible de construire un voyage en bateau ! Une famille ne serait-elle pas la meilleure équipe, solide et durable, pour une si longue et difficile aventure ?... Je m'en convaincs très vite. Le temps passe encore, les documents s'accumulent et les lectures enrichissent le projet. Les rencontres et les visites affinent une réalité qui finit par se dessiner toute seule, de plus en plus concrète.
Un fil invisible guide cette "longue route"...
Puis, un beau jour, je fais connaissance de Marie-Claude qui rêvait de devenir marin ! A cette époque ce métier n'est pas du tout accessible aux femmes. D'un autre côté ses études, puis son travail l'ont amené au Ministère de l'Éducation Nationale, dans les services de l'intendance universitaire. Le hasard veut même qu'elle soit nommée aux services des pensions du dit Ministère qui siège à La Baule : la plus belle plage d'Europe, mais aussi berceau de la voile !
Plus que jamais le rêve du marin s'éveille en elle... C'est aussi la région où je musarde en tirant des bords entre l'estuaire de la Loire et les îles voisines : Île d'Yeu, Noirmoutier, Belle-île, Groix... Le port du Pouliguen est à la croisée des chemins...
Nous avons fait, tous les deux séparément, nos classes de croisière côtière. Quelques sorties hauturières nous ont donné le virus du grand saut dans la mare, la grande mare...! On garde toujours en mémoire cette crainte que l'on a éprouvé la première fois que l'on a vu la terre disparaître derrière l'horizon ! Horizon devenu longue ligne continue, chargée de mystère sur 360 degrés... C'est la découverte d'une sensation nouvelle, le pied à l'étrier du temps, la quatrième dimension peut-être, l'inconnu en tous cas, c'est certain ! C'est aussi, en quelque sorte, une manière de revivre la découverte du monde! Seul sur l'océan, il faut faire face aux éléments naturels, les comprendre, les amadouer, les dominer... A la recherche de ses propres limites, ici, il n'y a plus de tricherie possible. C'est probablement l'une des plus difficiles, mais la plus noble école de la vie.
L'union faisant la force, comme dit le vieil adage, notre rencontre va donc permettre de concrétiser ensemble nos plus vieux rêves d'enfants : partir découvrir le monde à bord d'un voilier ! Il n'en faut pas plus pour créer une cagnotte commune, décider de mettre en construction un ketch en acier de douze mètres et sceller ce pacte par le mariage !
Fin des projets, il faut passer aux actes !
Après 6500 heures de travail dans l'ambiance d'un chantier de constructeurs amateurs, le rêve prend forme. Dans ces années 75, cette formule est très à la mode. Il n'empêche que l'ensemble représente près de quatre années de sacrifices et de travail ininterrompu. Pour rationaliser au mieux notre temps, nous habitons rapidement sur place dans une caravane, ancienne mais confortable. La famille Monterrin (entrepreneur de TP à St Marc) nous a gentillement mis à disposition une parcelle en friche à Brancieux, sur laquelle on s'installe (on ne les remerciera jamais assez !). L'hiver, dès la mi-décembre, nous allons toutes les nuits pêcher la civelle sur les quais des darses du port de Saint-Nazaire. La saison étant très courte, six semaines seulement, il ne faut pas rater une marée ! Traînant inlassablement nos balances à la queue leu leu, nous ne sommes pas les seuls à nous défoncer ! Cette manne est payée cash et à prix d'or par les restaurateurs de la région. La caisse du bord se regonfle ! Après une difficile journée de travail, c'est dur de recommencer une autre "journée", de nuit dans la foulée... Mais que ne ferait-on pas pour arriver au bout de sa passion ? On serre les dents, on craque aussi de temps en temps, mais on repart de nouveau en voyant la "maison" qui se termine...
En août 77, la naissance de Moïse vient nous combler de joie. C'est au moment où nous avons terminé le gros œuvre sur le bateau qu'un équipier nous arrive, formidable !
- "Ce sera notre matelot pour passer le Cap Horn" …avons-nous lancé à la ronde ce jour-là en rigolant...
Mardi 31 mars 1992, 3 heures du matin, Moïse va bientôt avoir quinze ans, nous venons d'atteindre ce fameux Cap Horn, entre deux tempêtes. Ce sont ses premiers quarts de nuit dans ce mauvais temps qui ne nous lâche plus ; les montagnes liquides, le froid, la neige... Il est devenu un équipier à part entière...
Cap-hornier, dit-on !
Quinze années déjà... Hé oui, ce n'était pas qu'une boutade…
Reprenons le cours de l'histoire...
Fin 78, la récompense finale arrive enfin avec le père Noël. Nous pouvons nous installer à bord de notre maison flottante, le "Kerguelen". Nous l'avons baptisé ainsi en hommage à un grand navigateur français méconnu, breton de surcroît !
Les premiers essais sont prometteurs. Le bateau sous voiles marche très bien, du tonnerre même au près serré. Nous le connaissons évidemment dans ses moindres détails, et cela nous donne une confiance totale dans notre machine !
Malheureusement le budget initial a été dépassé. Toutes les économies restantes ont été englouties dans le matériel de sécurité, les documents de navigation, les cartes et l'avitaillement pour le voyage... Toutes ces choses que nous avions omises de prendre en compte évidemment dans le coût de la construction proprement dite... Au bas de la page (de comptes !), cela représente quand même près de 10 % de la valeur du bateau !
Comment faire ?
A moins d'un mois du départ, il nous faut changer de route initiale... Marie-Claude, qui est déjà en disponibilité, pourrait solliciter un nouveau poste... Finalement nous tranchons. Nous changeons de cap ! Adieu Méditerranée, adieu mer Rouge... L'océan Indien sera pour plus tard. Nous allons partir à l'opposé, vers l'Amérique, vers les Antilles où il sera sans doute plus facile de trouver du travail et de refaire la caisse du bord pour financer la suite du voyage... Marie-Claude postule pour Pointe-à-Pitre...
Après tout, la Caraïbe, c'est aussi le paradis de la voile, des boucaniers, des galions engloutis !
En ce début de l'année 1979 nous voici donc face au grand océan, le sort en est jeté, le rêve devient vivant !
J'ai 30 ans, Marie-Claude 28, et notre matelot Moïse 15 mois. L'univers de ce petit bonhomme sera désormais le bateau, après avoir connu la caravane... Au fond, cela ne change pas vraiment, sinon que maintenant le "jardin" est immense et inondé à jamais. Il faudra s'y habituer et apprendre à nager le plus vite possible !...
Place au réalisme de l'aventure...
...aux vents, aux nuages, au soleil, aux vagues de l'océan, aux oiseaux du large, aux tempêtes et aux étoiles du firmament qui s'engouffrent brusquement dans notre univers...
Il nous faut réapprendre à vivre en symbiose avec la nature...
La métamorphose vient de s'opérer, le papillon s'envole...
Une nouvelle vie commence !
Suite du livre...Chapitre 101...
KERGUELEN dans les glaces près du Cap Horn...
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