Le Trésor Des Kerguelen

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033 Le décrochage détaillé et ses différentes survenues…

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033 Le décrochage détaillé et ses différentes survenues…

 

 

     Ce phénomène aérodynamique particulier sur un avion peut survenir dans bien des types de configurations et/ou de phases de vol, très différentes. Et là, je dois dire que beaucoup de pilotes, même parmi les pilotes professionnels en activité, ne comprennent pas réellement ou très mal ce qui se passe réellement lors du décrochage de leur appareil. Je me suis aperçu de cette lacune bien des fois en volant lors de renouvellement de licences par exemple ou encore en discutant simplement avec des collègues. Cela m’a toujours sidéré !

 

     D’ailleurs dans les années 90, une grogne s’était installée dans notre milieu aéronautique car la formation s’était orientée de plus en plus sur les procédures de vol en équipage au détriment de la compréhension de base de l’aérodynamisme et des phases critiques de vol comme la survenue d'un décrochage. L’avènement des commandes électriques y est d’ailleurs pour beaucoup dans ce domaine également par la perte de sensation au manche lors du pilotage ! Hors, en vol, un pilote à besoin en tout premier de "ressentir le vol, au manche", de comprendre ce qui se passe sur sa machine et cela bien avant de rechercher et d’appliquer des procédures décrites dans un manuel de vol… Cela ne s’est pas beaucoup amélioré depuis à mon grand regret, même si désormais on attribue une part plus importante aux facteurs humains dans les cycles de formation. Bref… (voir un article précédent, global, sur ce même sujet – Généralité du décrochage 004).

 

     Pour en revenir au décrochage lui-même de façon progressive…

 

Avant d’expliquer le phénomène du décrochage dans le détail, un petit dessin suffit déjà à comprendre ce qui se passe au niveau des différentes forces en action lors d’un vol normal, et ceci détaillé en trois phases distinctes : vol normal, vol ralenti (appelé aussi vol de second régime) puis le décrochage…

 

Voici les forces en jeu - vol d’un appareil stabilisé en croisière (altitude et vitesse constante).

 

CIMG1506R1.jpg

 

Tr = Traction

Tn = Traînée

Dpa = Déportance normale du plan arrière.

CG = centre de gravité

F = Point d’application des variations de portance (sur les ailes).

L1 = Distance entre le Cg et F (détermine la «Marge Statique» de l’appareil).

L2 = Longueur entre le point F et le point de Déportance situé sous la gouverne arrière.

RA0 = Résultante aérodynamique en vol de croisière «normale» (portance adaptée).

RA1 = Résultante aérodynamique en vol de croisière à puissance réduite (Vi plus lente amenant le vol dit "de second régime").

RA2 = Résultante aérodynamique en vol ralenti en arrivant à la Vi de décrochage (Portance très réduite avec inversion de la déportance arrière).

 

     Pour ce qui est de l’étude statique (étude des forces en présence)…

 

- La force avant est la Traction exercée par le moteur.

- Le Poids est donc la masse totale de l’appareil (machine + passagers & bagages).

- La Résultante Aérodynamique est la portance totale exercée par les ailes (principalement).

- La Traînée et le résultat aérodynamique de freinage d’un objet se déplaçant dans l’air.

 

     Maintenant étudions d’un point de vue dynamique (étude des moments)…

 

1) En RA0 le vol se fait à 110Kts par ex… La Ra (résultante aérodynamique) est forte et assez inclinée vers l'arrière car la traînée augmente fortement avec la vitesse en abaissant cette Ra vers l’arrière. Ce qui détermine d’ailleurs la Vi maximum en palier quand la Traction et la Traînée s’égalisent !

La déportance elle, n’est pas très forte et «tire» en temps normal, le plan de profondeur vers le bas. Le vol de l'avion est stable.

Si on étudie l’équilibre des moments rotationnels (MR) autour du CG, on trouve…:

RA0 X L1 = MR1 qui donne un moment rotationnel à renverser l’avion vers l’avant.

Dpa X L2 = MR2 une force contraire qui tend, elle, à renverser l’avion vers le bas (arrière).

Conclusion, c’est l’équilibre entre ces deux moments rotationnels (MR1 = MR2) qui va permettre à l’appareil d’être stable (au CG) sur sa trajectoire horizontale.

 

2) En RA1, on a réduit la puissance et l’avion vole maintenant "en second régime" (par ex à 80 Kts). Pour maintenir l’altitude on a mis un peu d’assiette à cabrer (action sur compensateur), et la RA1 faiblit un peu et se redresse (traînée moindre). La Vi diminue donc un peu et à ce moment là, la déportance arrière diminue aussi au point de devenir pratiquement nulle. Mais la trajectoire devient plus ou moins instable en palier et peut néanmoins être maintenue.

 

3) En RA2, on diminue encore la P donc la vitesse s’écroule à nouveau (...et on arrive à la Vi décrochage - par ex : 58 Kts). La portance générale diminue encore au point que la déportance arrière passe en positive cette fois (flèche rouge). Là, l’équilibre aérodynamique de l’appareil est totalement rompu au point que celui-ci bascule vers l’avant soulevé par la gouverne arrière qui agit dans le même sens que la RA et comme la vitesse est faible, la portance n’arrive plus à maintenir l’avion à son altitude. Il s’enfonce donc brusquement aussitôt, les deux ailes étant toujours accrochées "en portance" mais faible au point que l’appareil bascule à piquer, entraîné plus encore par sa gouverne arrière qui augmente ce phénomène de renversement vertical vers l’avant !

 

Conclusion : Si l’avion vole de façon symétrique (bille au centre) les ailes ne "décrochent" donc pas. Et c’est là que beaucoup de pilotes font la faute par ignorance car on entend trop souvent que, sur un décrochage on a aussitôt une perte totale de portance sur les ailes ! Cette vue simplifiée est donc totalement fausse. Je m’insurge contre cet amalgame du "décrochage qui survient parce que les ailes ne portent plus". Cette idiotie, en raccourci, empêche toute compréhension réelle de ce phénomène complexe du décrochage. Car en vérité, c’est bien le plan de profondeur arrière qui déclenche le décrochage au final et le manque de portance des ailes ajoute sa part au piqué qui est aussitôt engagé.

La preuve que c’est bien la gouverne arrière qui engage le décrochage car c’est elle qui déclenche en même temps le buffeting lors de ce décrochage. Ces vibrations surviennent au manche car la déportance du plan arrière accroche puis décroche et recommence en s’amplifiant dès que l'appareil bascule par l'avant Cela s’explique par le long bras de levier depuis l’arrière de l’appareil jusqu’aux commandes de vol (manche ou volant). Sur les gros avions, c’est un system électrique qui génère ce buffeting artificiellement au manche lors de l’approche du décrochage car les liaisons depuis l’arrière de l’appareil sont indirectes. L'avertisseur sonore «décrochage imminent» résonne aussi (+ Led rouge qui clignotte du Stall indicator). Il est plus que temps d’agir pour le pilote aux commandes !

 

 

     Cas particulier de perte de portance totale sur une aile…

 

En cas de décrochage, l’avion part aussitôt pour une forte abattée vers le sol. Il faut donc avoir une bonne réserve de hauteur avant de vouloir étudier cette figure. Mais il est un cas particulier où les choses ne se passent pas "normalement"…

Explications…

On vient de voir le cas du décrochage avec la bille au centre (en vol parfaitement symétrique). Mais que se passe-t-il si vous avez mis du pied à fond et que la bille soit partie en butée (D ou G)… ?

Eh bien là, il se passe un autre phénomène bien particulier et particulièrement dangereux par faible altitude car l’avion part en vrille !

En effet dans ce cas très spécial, l’aile qui va être dans l’intérieur du virage (car si vous mettez du pied d’un côté, vous allez provoquer un virage en dérapage) eh bien cette aile intérieure au virage va décrocher vraiment et totalement. C’est exactement comme si vous ne l’aviez plus cette aile. L’appareil part donc en piqué et en tournoyant dans un virage serré du côté engagé par cette dissymétrie. Il est inutile de dire que cette figure brutale devient vite catastrophique si vous n’avez pas assez d’altitude ! Un avion peut perdre ainsi 1500ft en quelques secondes seulement, dans ce cas de départ en vrille. Cette vrille peut partir à tourner à D comme à G suivant la position de la dérive en butée (D ou G).

 

     Quand on étudie et démontre cette figure, toujours très impressionnante pour un élève pilote en formation, en instruction on prend toujours une altitude de réserve de 3500 ou 4000 Ft minimum. Après 4 ou 5 tours de vrille, l’avion va nous demander encore un bon demi-tour pour sortir de cette vrille une fois les commandes recentrées et finir son abatée pour retrouver le vol horizontal, récupéré cette fois avec le manche par une remise à plat modérée. Mais là, vous aurez perdu 1500 ou 2000 ft et dans la ressource qui suivra, on va prendre aussi 3 ou 4G suivant l’appareil et la vitesse atteinte dans l'abattée. Cet exercice est toujours très impressionnant mais indispensable à étudier puis à démontrer en vol, dans la formation d’un pilote. En tant qu'instructeur d'ailleurs, on est toujours très vigilant lors d'études du domaine de vol car parfois, un élève nous fait plonger dans une vrille inattendue et là, c'est seulement l'expérience qui permet alors de sortir d'une telle situation dangereuse. Cela m'est arrivé à plusieurs reprises au cours de mes 20 années d'enseigenements aéro...

 

Pour un pilote qui a étudié et bien compris ces phénomènes aérodynamiques, c’est une grande chance de pouvoir maîtriser un jour son appareil si l’un de ces "incidents", se produisant le plus souvent par atteinte des limites du domaine de vol de l’avion, ne survenait en croisière.

 

 

     Les cas particuliers liés au facteur de charge…

 

Plusieurs cas particuliers de décrochage cependant peuvent se produire. Ceux-ci seront liés au facteur de charge induit suivant les figures de vol de l’appareil.

Premier cas en virage serré à alti constante . Petit tableau résumant ces effets… :

 

Inclinaison (à altitude constante)

Facteur de charge induit

Vi de Décrochage

30°

1,15

96 km/h soit 51 Kts

45°

1,42

108 km/h soit 58 Kts

60°

2

126 km/h soit 68 Kts

70°

3

153 km/h soit 83 Kts

75°

4

180 km/h soit 97 Kts

80°

6

202 km/h soit 109 Kts

 

Ce tableau peut correspondre aux avions assez classiques utilisés dans nos aéroclubs ou centres agréés pour la formation. Cela surprend toujours de constater à quel point l’avion subit une charge importante lors de virages serrés…et les conséquences qui peuvent s’en suivre !

En effet, un avion à sa construction est certifié (CDN) pour pouvoir encaisser des efforts de contrainte exprimés en G (constante d’accélération de la terre qui double la masse ou la multiplie suivant son indice). Dans la grande majorité des cas, on va trouver pour nos avions de formation une fourchette de 4 à 4,5G de supporté en positif et de l’ordre de 1,8 à 2,2G en négatif. Ces facteurs de charge «admissible» changent légèrement aussi en fonction du PTAC de l’appareil, ils peuvent donc se retrouver réduits en étant plus près du PTAC.

 

Première surprise, l’augmentation drastique des G en fonction du taux du virage.

 

Seconde surprise, c’est la vitesse à laquelle l’appareil va décrocher car elle augmente de façon très importante en suivant ces mêmes «G» !

Ces deux éléments sont très déroutants pour les pilotes pratiquant pas ou peu d’entraînement à ces conditions de vol. Ce qui explique le fort taux d’accidents dramatiques en aviation légère dans des circonstances particulières de vol quand les pilotes arrivent, sans s’en apercevoir, aux limites du domaine de vol des appareils..

 

 

     Autre cas particulier le décrochage aérodynamique…

 

En fait ce décrochage particulier est le même que celui se produisant aux grands angles. Mais la surprise cette fois, c’est que celui-ci peut survenir en vol à plat lors d’une ressource brutale de changement d’assiette. Dans ce cas l’appareil subit une forte accélération en prenant des G au même titre que dans un virage serré. Le résultat est donc le même… A savoir augmentation forte de la vitesse de décrochage et c'est toujours une surprise !

 

 

     Effet du centrage d’un appareil sur sa Vi décrochage…

 

Un dernier élément vient encore agir sur l’appareil. En effet le centrage de l’avion va avoir des effets sur sa maniabilité et sa Vi de décrochage…

 

Un centrage avant : Rend l'avion plus stable, certes, mais moins maniable (efficacité réduite de la gouverne de profondeur), mais augmente la vitesse de décrochage.

Un centrage vraiment trop avant peut gêner, voire même empêcher la rotation dans l'arrondi à l’atterrissage par efficacité insuffisante de la gouverne de profondeur. Il peut aussi endommager le train avant à l’atterrissage par un toucher plus violent.

 

Un centrage arrière : Rend l'avion plus maniable cette fois, mais moins stable (efficacité trop accrue de la gouverne de profondeur), mais diminue légèrement la vitesse de décrochage (et aussi la conso carburant).

Un centrage beaucoup trop arrière rendra l'avion difficilement contrôlable (maniabilité difficile à maîtriser par instabilité permanente de l’altitude). On entend l'équipage de conduite parler de "marsouinage" dans ce cas mais dans le pire des cas cela peut amener l'appareil dans une phugoïde prolongée qui l'aménerait à sa perte totale de manoeuvrabilité. Plusieurs accidents aériens tragiques ont terminés ainsi malheureusement.

 

 

     Enfin dernier cas spécial du décrochage : la vrille à plat.

 

En principe cela ne devrait jamais pouvoir se produire sur un appareil autorisé à voler. En effet, lors de la conception d’un avion, lors des vols d’essais réalisés pour l’obtention de son CDN (Certificat De Navigabilité), le pilote d’essai ne doit pas jamais pouvoir mettre cet avion en vrille à plat lors d’un exploration poussée à l’extrême, de son domaine de vol. Sinon il ne sera jamais admis pour obtenir un CDN et donc une mise en service.

Maintenant, malheureusement pour nous pilotes, malgré cette impossibilité démontrée, parfois, certaines conditions météos de vol, très particulières, peuvent amenées l’appareil à se mettre en «situations possibles» de départ en vrille à plat. Cela peut survenir dans le cas de déplacement très important de son fret embarqué (centrage arrière hors limites - risque sur avion-cargo) ou aussi d’un givrage particulièrement sévère et rapide sur l’appareil.

Un cas typique de ce type est l’accident du vol Rio-Paris dont toutes les gouvernes de vol se sont retrouvées figées par une glace très épaisse et instantanée. L’équipage à bord ayant perdus toutes les commandes de vols, l’appareil (doublé de pb moteurs et calculateurs) a fini par se mettre en vrille à plat. Et là, il était donc impossible pour les pilotes à bord de sortir d’une telle vrille à plat quelque que soient par ailleurs, les manoeuvres essayées pour l’en sortir. Dans les vols d’essais, la seule et unique porte de sortie pour le pilote c’est : EJECTION !

 

 

Qu’on se le dise …et bon vol !

 

 



24/07/2024
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