Le Trésor Des Kerguelen

Le Trésor Des Kerguelen

Chapitre 201 - Sur les Traces de Gabriela Mistral

Précédent... AVANT PROPOS II...                                                              

Suivant... Chapitre 202...

 

Chapitre 201

 

SUR LES TRACES DE

                                       GABRIELA MISTRAL

 

     L'Histoire reprend... Le Chili est un pays attirant, réellement extraordinaire ! Un nom revient fréquemment dans les villages et les villes visitées: Gabriela Mistral. Nous n'en avons jamais entendu parlé ! Cela nous intrigue…

 

" Lucila Godoy y Alcayaga dite Gabriela MISTRAL : Poétesse chilienne née à Vicuna (1889-1957), auteur de recueils d'inspiration chrétienne et populaire, prix Nobel de littérature en 1945."

 

     Voici défini, dans notre encyclopédie, le portrait de cette grande dame de la littérature hispano-américaine qui a laissé son nom dans toutes les bourgades que nous découvrons depuis la sortie des canaux de Patagonie. Nous sommes curieux d'en savoir un peu plus sur cette femme exceptionnelle, cette Gabriela Mistral...!

 

     Ne pas confondre avec notre Frédéric Mistral à nous, bien français, provençal de cru, prix Nobel de littérature également, mais en 1904 ! Décidément, on a le "vent" en poupe pour Stockholm quand on possède un nom pareil...!

 

     Ce qui nous frappe, nous, lorsque nous bavardons avec les gens de rencontre, dans la rue, c'est de constater combien les Chiliens sont avides de culture européenne. Tout comme leurs proches voisins argentins et uruguayens, ils apprécient particulièrement la France. Nous sommes pour eux une référence culturelle, une sorte de "modèle de civilisation". C'est flatteur, bien sûr, mais le sommes-nous vraiment ?

 

     C'est en vivant loin de l'Europe que nous nous en rendons compte, malheureusement, aurait-on envie d'ajouter ! La culture occidentale n'est-elle pas une symbiose des civilisations arabes, juives, grecques, latines ? N'est-elle pas empreinte de lois hébraïques, de connaissances patriarcales, de soumissions coraniques, de sagesse biblique...? Trois mille ans d'histoire ont façonné notre vieux continent !

 

     On comprend alors facilement que ces peuples neufs, possédant à peine trois siècles d'existence, soient friands de réflexions, de compréhensions, de modèles comme nos pays qui les devancent en matières d'infrastructures, de technologie, de stabilité politique...

 

     Mais cette fois, c'est nous qui aimerions mieux les connaître et les comprendre. Par exemple cette femme hors du commun, cette Gabriela Mistral, toute première écrivain sud-américaine à recevoir cette reconnaissance suprême ! Mais qui était-elle donc ?

 

     Quel chemin a-t-elle parcouru depuis sa native vallée de l'Elqui, jusqu'à ce prix Nobel de littérature ?

 

     Institutrice de village, enseignante passionnée, Lucila gravit les échelons de sa vocation. Sillonnant son pays qu'elle aime passionnément, la gloire lui sourit. Beaucoup plus tard les portes du monde extérieur s'ouvrent. Elle est promue au rang d'ambassadrice. Cette voie la conduira jusqu'à Stockholm et le prix Nobel de littérature !

 

     Nous nous proposons de faire le chemin à l'envers et de découvrir à travers son itinéraire, son professorat, le Chili profond du quotidien... Après celui de la nature sauvage et inexplorée, celui des hommes, des femmes, de leur culture, de leur combat...

 

Nous partons sur les traces de Gabriela Mistral...

 

     Nous venons de quitter les canaux de Patagonie. Ils gardent secrètement le spectre de leur roi éphémère : Antoine de Tounens. L'île de Chiloé s'éloigne dans le sillage. Une certaine nostalgie nous envahit car nous allons retrouver la civilisation, l'agitation, le bruit, le superficiel, la dispersion... Tout compte fait, nous n'avons jamais eu, non jamais, une vie aussi régulière et tranquille que durant ces quatre mois de rêves en pays Patagon. C'est dans ces lieux glacés, magiques, méditatifs, que j'ai pris la plume pour commencer ce livre... La lenteur dans le silence, comme sur l'Amazone, fut un déclic...

 

Adieu Ayayéma... Adios ventisqueros...

 

     Deux petites semaines d'une escale fort sympathique à Valdivia nous permettent de renouer avec le monde civilisé, de laisser passer une dépression d'Ouest et aussi de visiter cette région à vocation forestière et touristique. On y trouve des plantations étonnantes de mûriers ! Lorsque nous ferons le plein de vivres pour router vers Santiago, ce sera la seule confiture du moment disponible sur les étals... Va pour la marmelada de morera ! C'est tellement délicieux, la couleur des moustaches de nos moussaillons en témoigne ! Mais par contre la longévité du stock risque d'en souffrir !

 


Ici Valdivia et son marché le long du fleuve du même nom. Tout au fond le club Nautico


     Nous quittons l'embouchure du rio Valdivia et ses encombrants pêcheurs de mariscos... Une centaine de barques, toutes peintes de jaune vif, sont alignées en travers du fleuve formant un véritable barrage. A bord de chaque embarcation un marinero surveille d'un œil distrait le pétaradant compresseur du système respiratoire à narguilé, tandis qu'un compère, souvent le plus jeune, le fiston ou le p'tit frère, ratisse les fonds de sable à la recherche des coquillages. Ostiones, almejas, machas (coquilles Saint-Jacques, amandes, palourdes) s'entassent dans les paniers. Les tuyaux des appareils respiratoires se déroulent, flottent en zigzaguant à la surface, se croisent, chuintent dans le froid courant descendant. Nous arrêtons tôt le moteur pour dépasser sans risque tout ce petit monde des travailleurs de l'invisible... Au débouché du rio la mer est presque plate, le vent est faible mais régulier : c'est une agréable surprise ! Nous avons noté sur le livre de bord :

 

"Nous quittons définitivement les quarantièmes rugissants, mais ...chuuttt, aujourd'hui, ils dorment !"

 

Ça sent quand même le coup fourré !

 

     D'abord nous sommes au plein milieu de l'hiver austral et pile sur le quarantième Sud. Lieu réputé houleux, venteux, tempétueux, comme nous l'avons trop souvent constaté ! Mon petit doigt me dit que quelque chose se mijote dans notre coin...

 

     La Punta Galera (ce n'est pas la peine d'expliciter, vous êtes d'accord !) les hautes falaises donc qui gardent l'entrée de Valdivia sont à peine derrière nous que la radio nous apprend qu'un fort tremblement de terre vient de secouer Valparaiso ! Comme par hasard, c'est là-bas que nous nous rendons... Pour une "galera", c'est une "galera" ! Les tsunamis ne sont pas rares par ici, précisément à la suite de ces secousses sismiques... Le dernier raz de marée important, aussi hélas meurtrier, date de 1971 !

 

     Nous sentions bien que quelque chose se tramait dans notre coin. Nous avions pressenti des "ondes" annonciatrices... Ces ondes sous-marines très puissantes se déplacent à plus de 800 kilomètres à l'heure. Elles sont particulièrement dangereuses près des côtes. Aussi décidons-nous sur-le-champ de ne pas faire d'escale avant Valparaiso. Par grande profondeur ces bosses d'eau géantes sont presque imperceptibles et surtout inoffensives. Dans une baie dont les fonds remontent et se referment en forme de "V", c'est tout le contraire qui se produit... L'intumescence s'amplifie, s'accélère... Il se créée alors une vague unique et abrupte qui peut atteindre, voire dépasser, la hauteur incroyable de 50 mètres, suivant la conformation de la côte et la distance de l'épicentre... C'est le raz de marée, l'enfer. C'est le tsunami !

 

     Nous y pensions depuis quelque temps déjà mais sans en parler vraiment. Comme si nous voulions conjurer le sort, exorciser cet instant fatal. Eh bien, c'est arrivé, ça tremble !

 

     Naviguant toujours derrière l'horizon visuel, entre 20 et 50 milles de la côte, nous recevons toujours au moins deux ou trois des chaînes T.V. chiliennes. A 22 heures les noticias de RTU (Réseau de la Télévision Universitaire), nous montrent que les dégâts sont mineurs fort heureusement. Toutefois les spécialistes sont inquiets car les enregistrements sismiques dénotent une instabilité anormale... Enfin, pour le moment rien de plus. Affaire à suivre et à surveiller...!

 

     Il reste encore 400 nautiques à parcourir vers Valparaiso, plus précisément nous nous rendons à Algarrobo. Cela veut bien dire "caroubier" en espagnol, n'est ce pas ? Quel joli nom chantant ! Nous serons très étonnés de voir ces arbres fleurir durant l'hiver dans les parcs et les jardins de cette tranquille cité balnéaire. Elle est située juste à la hauteur de la grande capitale : Santiago del Chile... Encore un joli nom chantant !

 

     Pour le moment, nous profitons d'un temps clément et cette navigation mérite vraiment, pour une fois (c'est si rare), le qualificatif de "plaisance" !

 

     Doublant le grand port de pêche de Talcahuano, nous faisons une petite pause, comme ça, en pleine mer. Eh oui, chers amis, sans tambours ni trompettes, à l'improviste ! Point n'est besoin de clignotants, de rétroviseurs, de parking, de warning et de tout le saint-fouin-fouin autorouto-routier pour s'arrêter en voilier... Il suffit d'affaler les voiles, couper le contact du pilote automatique et l'océan vous appartient...

 

A toi tout seul ?

 

Non, justement, c'est pour ça que l'on s'arrête mec !

 

Momentito... Je t'explique...

 

     Une flottille de gros chalutiers apparaît devant nous. Ils sont tout autour de nous. Nous sommes des spectateurs privilégiés ; alors, observons ! Allez, prenons celui-là : le Pelagos II, il est en train de mettre sa senne à l'eau... Approchons encore...

 



     Vingt minutes plus tard il remonte ses filets ventrus, pleins à craquer de jurel (sorte de maquereaux), de corvinas (bars), de merluzas, de congrios (genre de loquette)... Les phoques et les dauphins suivent de très près les opérations, de trop même car quelques jeunes gourmands se font prendre dans la nappe impitoyable. Un jeu plutôt dangereux !

 

     Le vent est presque complètement tombé. La mer ondule gentiment. Nous en profitons pour faire une leçon de sciences "in vivo". Thème de la journée : la pêche au filet tournant...

 

     Les bancs très denses de poissons sont repérés avec l'ASDIC (Allied Submarine Détection Investigation Committee) - C'est du spoken, alors ne cherchons point de la "comprenaille" là-dedans ! - C'est une sorte de sonar mais horizontal. Inventé par les Anglais, cet engin était destiné à l'origine à détecter les sous-marins ...ennemis, of course ! Aujourd'hui, fabuleux outil de travail, il équipe tous les chalutiers pélagiques. Dès qu'un banc de poissons est détecté, jusqu'à trois kilomètres de distance horizontale, le filet coulissant, la senne, est mis à l'eau. Il glisse sur un gros toboggan situé sur l'arrière du bateau et il est tiré à l'aide d'une puissante baleinière préalablement lancée de la même manière... Dix minutes suffisent pour refermer le cercle d'environ quatre cents mètres de diamètre. Reste à boucler la poche par le bas ; c'est le rôle de la ralingue. La troupe pélagique est prisonnière ! Les moteurs hydrauliques se mettent alors à "roucouler" et le tout est hissé à bord par de vilains diabolos diaboliques... Le chalutier avale les fruits de l'océan... La leçon est impressionnante. Quelques petits phoques noirs se débattent, happés par le ring net, mais heureusement les marins, en bons manœuvriers, les aident à se dégager du piège mortel. Ouf !

 

"Ah-euh, ah-euh, ah-euh..." gueulent-ils de peur en retournant à l'eau ! Peut-être même de remerciement...

 

 

     Le Pelagos II nous communique le dernier bulletin météo et retransmet au commandement général de Valparaiso notre position et nos salutations.

 

"Para cenar a la noche !" - Pour dîner ce soir ! - nous lance le capitaine du haut de sa passerelle... Leur "annexe", une monstrueuse baleinière couleur orange fluo, nous apporte un sac de poissons d'au moins ...dix kilos !!! Quel souper...! Mais la manœuvre avec la houle n'est pas sans risques... Cela nous rappelle quelque chose de similaire au large du Surinam... Toujours aussi sympathiques ces gens de mer...

 

     L'énorme chaloupe, aussi lourde et large que Kerguelen, nous heurte sèchement et fait éclater le coin d'un hublot sur bâbord... Coulé ?... Non, touché seulement ! Nous gardons tout de même le sourire et disons un sincère "Gracias" à nos amis pêcheurs...

 



     Même en acier, décidément, un voilier est et restera toujours un jouet vulnérable face à tous les engins flottants que nous "tutoyons" ! Il nous faudrait un tank pour ne plus craindre personne sur l'océan... Au fond, le bateau n'est qu'un tas de ferraille, de bois et de plastique. Chaque élément peut se remplacer. Tandis que les sentiments, les vrais, les grands, ne se remplacent jamais. C'est une ride de plus en attendant le prochain lifting du kerguelen, point final !

 

La navigation "de plaisance" reprend vers le Nord.

 

     Le soleil décline rapidement sur un horizon flamboyant. Le coup d'œil est splendide. Le froid de la nuit se fait ressentir aussitôt et allumons notre poêle.

 

     Nous regardons à la "téloche" (contraction hispanique de tele-noche) le résumé des Jeux de Barcelone et le journal télévisé.

 

     Au fond, dans un bateau en navigation, il en va comme dans une maison ! Les activités de la vie quotidienne sont assez semblables sinon qu'ici, en plus, on se déplace en même temps.

 

     Nous sommes au large ?... En mer ?... En navigation ?... Ah oui, nous l'aurions presque oublié ! Enfin, pas tout à fait quand même car cette attente d'atterrissage juste en face de Santiago, la capitale du Chili, apporte un brin d'émotion supplémentaire à cette navigation.

 

 

     La nuit est déjà bien avancée lorsque nous entrons, guidés par le bateau de service du port, à la Cofradia Nautica del Pacifico. Cette association gère la petite mais superbe marina d'Algarrobo. Parfaitement dissimulée derrière l'îlot Pajaro Niño qui la protège de l'incessante houle du large, l'entrée est particulièrement difficile à trouver de nuit.

 



     Nous remercions vivement Sergio Galvez, capitaine des lieux et ancien officier instructeur de la Royale chilienne. Il n'a pas hésité à nous attendre si tard en ce dimanche soir ; il est minuit. Il avait été averti par le centre de coordination de la marine centrale, toujours lui, que notre E.T.A. était prévu aux environs de 23 heures) c'est à dire en clair, l'heure prévue d'arrivée (pour E.T.A.ou Echo Tango Alpha : anagramme du dialecte hermétique des marins, aviateurs et autres radio amateurs : Estimated Time Arrival).

 

     Don Sergio, donc, nous guide jusqu'à notre place au quai d'honneur. Tout le comité de direction, réuni ce soir-là en conseil, est même au rendez-vous sur le catway pour accueillir un voilier étranger arrivant du Sud...

      - Del Sur ?

      - Oui, oui, du Sud... En plein hiver...!

      - Del Sur !... Del Sur !

 

Le mot est prononcé avec égards. Plus : emphase, car cela veut dire, sous-entendu, du Cabo de Horno, du Cap Horn. Noblesse et dignité obligent, l'accueil est à la hauteur du grand cap, je vous l'assure : du 56° aussi dans l'échelle des respects ; autrement dit le sommet !

      - Tout est à votre disposition ici, à votre convenance, et si vous avez besoin de quoi que ce soit : vous demandez... De accuerdo ?

      - D'accord ! Merci Sergio, merci beaucoup.

 

      Nous nous sentons gâtés, flattés, puis, d'un coup frigorifiés... La nuit hivernale frappe. Le vent est revenu, cingle les doigts, il fait froid. Mais un nuage de sympathie et d'amitié flotte sur les pontons et réchauffe les cœurs. C'est ça la marine à voile dans toute sa grandeur d'âme.

 

     Cette marina, toute neuve, moderne, est la seule (à notre connaissance) de toute la côte pacifique de l'Amérique du Sud.

 

     Nous entendons bien en profiter pleinement. Son prix est assez élevé mais en matière de plaisance, il n'y a rien de barato, de bon marché, dans ce bout du monde. Parfaitement protégée de la mer, elle est entièrement close et gardée ; le service est parfait. Cela nous permettra de visiter en toute quiétude l'intérieur du pays et sa belle capitale, Santiago, située juste en face, au pied de la montagne.

 

     Nous abandonnons la barre pour le volant, c'est identique, sinon peut-être même un peu plus dangereux...

 

Nous sommes toujours sur les traces de Gabriela Mistral !

 

     Ce 6 août est l'anniversaire de Moïse. Quand on fête sa quinzième année, dont quatorze de voyages et d'aventures, le cadeau doit être de circonstance. Nous pensons qu'il l'est. Une journée se passe à visiter le centro de la ciudad avec pique-nique en haut du parc Santa Lucia. La vue en enfilade sur la capitale et sa vallée est superbe, grandiose. Une petite incartade à ne pas manquer au musée d'art précolombien nous permet de tester le joli métro. Puis la route monte, monte vers Farallones et les cimes enneigées... Tellement "nevado" cette vallée qu'il nous faut rapidement chausser les pneus de cadenas, les chaînes, que les carabineiros avaient minutieusement vérifiées avant notre départ vers les stations...

 



     La première journée de ski est déroutante. La neige et le brouillard enveloppent complètement toute la Valle Nevado. On ne voit pas à dix mètres !

 

    Heureusement la seconde est plus belle et Moïse peut enfin profiter de son cadeau d'anniversaire. C'est la première leçon de "eski". Anne, qui regarde émerveillée de voir cette glisse si facile, ce tire-fesses si amusant, veut en faire autant… Maman s'occupe déjà de Moïse ? Eh bien à papa de s'occuper de Nanou. Au tire-fesses, pronto !

 

     Toutes ces stations de ski, bien équipées, si belles, sont à seulement 50 kilomètres de la capitale... On ne peut pas rêver mieux. La mer, de l'autre côté, est à une heure et demie de route... Nous aimerions sincèrement vivre dans cet endroit du monde... C'est superbement beau !

 

 

     Le lendemain est réservé à la visite de Portillo. Qui n'a pas entendu parlé de cette célèbre station de ski qui accueillit les championnats du monde en 1966 ? Assise fièrement aux pieds des 7000 mètres de l'Aconcagua, elle nous fait découvrir des paysages vertigineux, des lacets routiers étagés, des corniches suspendues, des précipices insondables, des pentes immaculées... C'est le grand frisson... C'est la très haute Cordillères des Andes ! Là encore, les équipements spéciaux (chaînes) nous sont indispensables pour atteindre les 2900 mètres de la station sous son manteau d'hiver.

 

     Nous nous régalons de coups d'œil panoramiques au-dessus de la Laguna del Inca, gelée. Nous comprenons en contemplant ce paysage grandiose qu'il est l'essence profonde de l'œuvre de Gabriela Mistral... Sa "Nostalgie", sa "Désolation", ses "Sonnets de la Mort", sa "Cordillera"... Ce sont ces immensités froides, silencieuses et monastiques qui ont inspiré à la jeune Lucila ses poèmes empreints de tristesse et de mélancolie.

 

Nous sommes bien sur les traces de Gabriela Mistral !

 

     Le paysage change très vite en remontant vers le Nord, à peine sortie de la banlieue de Santiago. C'est très surprenant ! Nous retrouvons des paysages méditerranéens. Les campagnes sont couvertes de mimosas. Il y en a même des forêts entières et beaucoup sont en fleur ! Nous n'avions encore jamais vu cela. Les principales essences d'arbres, outre les nombreux mimosas, sont les eucalyptus, les chênes verts, les chênes-lièges, les acacias, les pins. Tous ces persistants sont si beaux, si tendres, si éternels...

 

     Lorsque nous nous arrêtons sur le bord des routes, nous sommes rapidement couverts de pollens. Cette situation serait certainement invivable pour une personne sensible ou allergique, foi d'une butineuse, je vous l'assure… Car, ça bourdonne aussi de partout...!

 

     Des plantations, toujours étonnantes, nous rappellent une fois de plus que les Chiliens sont des pionniers en la matière : champs de figuiers (de barbarie), d'élaeis, de papayers, de tabac également. Sur les contreforts des montagnes, les vignes et les lianes de kiwis tissent de leurs bras tentaculaires des lignes monotones et parallèles jusqu'à mi-pentes.

 

     Avant de poursuivre plus vers le Nord, nous nous devons de rendre visite à Valparaiso, le plus célèbre port des Amériques, chanté dans toutes les langues par toutes les générations de marins du monde entier...

 

     Il est bien fatigant de faire le tour de cet immense port de guerre, de pêche et de commerce ! Mais depuis le camino de cinturo de los cerros le spectacle est magnifique, la vue imprenable ! Ce "chemin de ceinture des collines" vaut vraiment le déplacement, même s'il est un peu long, un peu enivrant... Les ruelles étroites et encombrées chantent la vie. Les balcons fleuris de linges multicolores libèrent la bonne humeur. Une réelle impression napolitaine se dégage de ces gazouillantes cités. Elles sont accrochées sur les pentes des cerros (les collines) qui entourent la ville, comme des grappes sur un cep.

 

     L'impression n'est pas sans fondements : combien de marins, combien de capitaines, combien de matelots sont arrivés ici, venu de l'Italie ? Naturalisés, ils travaillent nombreux à la pêche... La chicha a remplacé le chianti ; le Pacifique la Mer Tyrrhénienne et, après tout, l'Araucanie ne vaut-elle pas la Toscane, la Campanie ou bien encore la Calabre...?

 

Viva Valparaiso ! Viva Valparaiso !

 

     Ce refrain résonne dans toutes les tabernas (les bars) de Valparaiso où plane une douce odeur de pisco. Nous aimons particulièrement nous immiscer dans ces lieux magiques où flottent des airs mélancoliques de flûte de pan et de charango... C'est l'occasion d'y déguster, une fois de plus, le plat national chilien : une cazuela de ave. C'est en quelque sorte notre "poule au pot", mais arrangée à l'Indienne, c'est à dire garnie de pommes de terre, des vraies ! C'est qu'elles sont indigènes à ce pays, les papas. Il y en a plus de trois mille sortes différentes ici, toutes meilleures les unes que les autres. Nous sommes bien loin de nos insipides patates... C'est aussi cela le Chili !

 

     Les infatigables funiculaires remontent les ménagères encombrées de cabas. Tandis que les touristes, guillerets et légers comme des bouquetins au printemps, furètent las vistas, les sites panoramiques.

 

     Avant de poursuivre plus haut, toujours plus au Nord, nous traversons Viña del Mar, la belle cité adjacente. C'est le balnéario le plus en vogue de la côte Pacifique !

 

     Cette semaine un événement y focalise toutes les attentions : c'est le renflouement d'un cargo échoué sur la plage, le Rio Rapel... Il y a deux mois, tout début juin, durant une violente tempête, deux cargos avaient été jetés à la côte dans la rade de Valparaiso. Tous deux sont venus s'échouer ici, sur la plage, près du marché aux poissons de Viña. Maintenant ils sont complètement sortis à sec, échoués sur la grève comme des cétacés à l'agonie. Pour le premier, pas de chance, il s'est jeté dans un endroit rocheux. Jours et nuits, les chalumeaux oxycoupeurs réduisent sa triste carcasse en lambeaux d'acier. Pour le second en revanche, le Rio Rapel, tous les espoirs sont permis... Il s'est posé bien à plat sur une partie sablonneuse et dégagée ; une chance inouïe ! Profitant des grandes marées de cette pleine lune les bulldozers et les pelleteuses ont creusé un long canal de sape tout contre sa carène. A l'ultime étale de haute mer un énorme remorqueur vient arracher la baleine d'acier à sa gangue de sables ...salutaires.

 

"Silence on tourne" ...pourrait-on dire, car à l'instant même où les câbles se tendent, un silence mortuaire s'installe sur l'assistance. L'action débute... Puis des milliers de Hourra accompagnent le bateau qui bouge, hésite, glisse... Le Rio Rapel s'ébranle drôlement et d'un coup bascule enfin en retrouvant les flots ! Sauvé, miraculé après deux longs mois de coma, il regagne son mouillage salué par de longs coups de trompes...

 

C'est le grand scoop de la semaine à Viña del Mar !

 

     Au Nord de Valparaiso les petits ports se succèdent : après Viña del Mar puis Renaca, voici Higuerilla maintenant qui possède, lui aussi, une minuscule marina. Nous allons la visiter dans l'éventualité d'une escale prochaine. Mais la houle, pourtant faible en ce moment, tiraille durement et en tous sens les rares voiliers encore à flots le long des vieux pontons d'acier. Non, décidément, le coin n'est pas sécurisant du tout.

 

"Escale de beau temps" avons-nous noté pour le livre de bord !

 

     La route continue, monte de plus en plus vers le haut de la carte, tandis que l'aiguille de notre hygromètre s'incline, elle, de plus en plus vers le bas de son échelle !

 

     Mon Dieu, mais qu'est-il donc arrivé par ici, dans ce coin du globe ? La terre est pâle, terne, exsangue... C'est la zone pré-désertique de l'Atacama ; cela se voit, cela se ressent ! Principale végétation : des cactus, des cactus et encore des cactus ! Dans cette grande famille le créateur, s'il en est un, a eu le coup de crayon très imaginatif, en plus d'être agressif !...

 

     Trapus ou échalas, ventrus ou délicats, en candélabres, en boules ou en raquettes, les cierges, nopals, peyotls ou autres opuntias, tous, sans exception sont prêts à vous piquer, vous aiguillonner, au moindre faux pas. Seules ces plantes inviolables, capables de stocker de l'eau, ont leur place ici dans cette terre inondée de vent et de soleil.

 

Nous atteignons Ovalle puis Andacollo, le haut plateau des mines d'or...

 

     Dès que nous quittons la panaméricaine nous découvrons une surprenante coutume locale... Au bord des routes des plaques minéralogiques de véhicules sont fixées sur les reliefs et les obstacles les plus divers, dans les endroits les plus inattendus. Les poteaux, les parapets, les tunnels, les rochers, parfois même les murs d'enceinte des habitations, sont garnis de ces curieuses décorations. Souvent associées à elles, de minuscules chapelles ardentes, abritant des statuettes de la Vierge, veillent religieusement sur ces lieux ...comment dire ? ...sacrés ? ...maudits ? Oui, bien sûr, ces plaques sont les témoins des drames et de la douleur des familles qui les ont laissées là, en souvenir de ceux pour qui la vie s'est arrêtée en cet endroit, sur ces obstacles...!

 

     C'est finalement très efficace pour signaler un endroit dangereux. Mieux qu'un panneau indicateur ! Ainsi pour ce vicieux virage en dévers et en dos d'âne que nous passons en ce moment même au pied d'une paroi rocheuse... Absolument toutes les erreurs techniques sont profilées à "merveille" dans cette foutue trajectoire pour le paradis ...enfin, le purgatoire ou bien l'enfer, chacun choisit ...sa voie ! Eh bien il est "décoré" d'une incroyable quantité de plaques minéralogiques, d'ex-voto, de petits sanctuaires miniatures, c'est vraiment impressionnant. Cela paraît même démentiel, absurde... Finalement on en arrive à se demander qui, du dangereux profil routier ou du distrayant décorum, engendre une pareille hécatombe !?... Enfin pour nous la règle est simple : plus il y a de plaques, plus il y a de calvaires et plus nous devons être prudents...

 

Ainsi soit-il !

 

 

     Au fur et à mesure que la chaussée se rétrécie, les virages se rapprochent, se resserrent, en même temps que les éboulis se font plus menaçants. Autour de nous, presque à portée de main, d'anciennes galeries de mines percent les flancs ravinés et meurtris des collines avoisinantes. Elles laissent les stigmates de leurs conquérants disparus, oubliés...

 



     Nous visitons l'une des nombreuses mines d'or d'Andacollo. Il s'agit de la mine Olga sur la piste de Maïtencillo. Ses trapiches, moulins à pierres identiques à ceux de nos arrière-grands-pères minotiers, écrasent jour et nuit le minerai. La boue obtenue après broyage, malaxage et lavage dépose le précieux métal jaune sur des plaques d'acier préalablement enduites de mercure. A présent ces moulins sont mus électriquement, mais il n'y a pas si longtemps encore c'était le manège des mules qui faisait tourner les deux lourdes roues de granit dans le creuset.

 

     En dehors des très officielles concessions étatiques, nombreux sont les petits pirquineros, les orpailleurs parallèles, qui ratissent à proximité immédiate des filons... Tous, sans exception, ont la fièvre de l'or ; nous l'avons constaté. Ils s'éreintent comme des bêtes de bât dans ce qu'ils appellent eux-mêmes leurs faënas de oro, leur "corvée d'or". Ce nom exprime bien leur folle entreprise, leur lubie, leur galère...

 

     Autour des villages le moindre point d'eau (et ils sont rares dans la région !) est jalousement gardé. Ce précieux fluide est canalisé par de compliqués jeux de rigoles creusées à même le calcaire, des tuyaux qui captent, des digues qui régulent, des biefs qui accumulent... Bien souvent pendant la nuit ces précaires installations de lavage se cassent, disparaissent, s'assèchent, changent de place, de cours, de destination finale ...et de propriétaire. Une guerre secrète se joue dans l'ombre des champs aurifères, impitoyable !...

 

     Chacun veut sa part du butin, il n'y a pas de répit, pas de pitié au pays de l'Andacollo. Ce vieux nom quéchuant viendrait, paraît-il, des Incas qui s'approvisionnaient ici en or ; il signifiait dans leur langue, divinement et au féminin... "La Reine des métaux".

 

     Au cours de la descente dans les sinueuses vallées nous surprenons des familles de chevaux et de mules sauvages qui errent dans la montagne en quête de nourriture. Alors que nous tentons de les approcher pour les photographier nous tombons nez à nez avec de gros tas de ripios (des déchets de minerais). Aussitôt la fièvre de l'or nous dilate les cristallins ! Nos yeux s'exhorbitent, les doigts nous démangent ! Tous les cailloux autour de nous scintillent de paillettes, miroitent de cristaux...

      - De l'or... C'est de l'or ! s'exclame Moïse subjugué.

      - C'est vrai, la roche est de même nature que le superbe minerais que nous a offert, il y a moins d'une heure el capataz, le contre-maître de la mine Olga !

 

     Nos prunelles pétillent, nos mains fument, au fur et à mesure que nos poches s'étouffent sous la poussière du minerai... Nous en avons déjà ramassé des kilos à la mine, le coffre de la voiture est plein. Mais c'est plus fort que nous, plus fort que la raison ...la fièvre je vous dis, la fièvre... Curieusement il y a toujours un nouveau morceau qui est plus joli ou plus original que le précédent... De la folie, cette fièvre de l'or.

 

     Nous avions déjà fait provision de pyrite, de galène, de cobalt, de silex, d'obsidienne si chère aux Incas avec laquelle ils réalisaient des miroirs, voici maintenant de l'or natif. Mais... attention …"Tout ce qui brille n'est pas or" aime à nous rappeler Marie-Claude !

 

     Nous trouvons également un peu plus loin du bois pétrifié, et puis des nodules denses et irisés, peut-être des morceaux de météorites... ? On ne sait pas, mais ils sont suffisamment beaux pour venir compléter le Trésor des Kerguelen... Au fur et à mesure que se remplit le coffre de caillasses multicolores, nous nous approchons de la maison natale de Gabriela...

 

 

     Collée tout contre la ville de Coquimbo, la Serena (la sereine) est la seconde ville touristique du Chili. C'est aussi le débouché de la vallée de l'Elqui. Cette vallée si chère à Gabriela Mistral, sa "tendre vallée de l'Elqui", dit-elle dans ses poèmes : son éternel népenthès...

 

     Véritable oasis aux portes du désert, le fleuve Elqui ressemble à la vallée de notre haute Garonne française. Il apporte à cette région une richesse et des couleurs irremplaçables qui tranchent dans ce décor poussiéreux. Les vignobles courent sur les coteaux tandis que les exploitations maraîchères et fruitières envahissent la plaine centrale. Nous sommes au cœur du pays du Pisco, alcool de raisin, emblème national et populaire chilien. Notre pèlerinage s'achève ici, à Vicuña avec la visite du musée école, maison native de la petite Lucila, blotti dans le fond de la vallée de l'Elqui, aux pieds de la majestueuse Cordillère des Andes.

 

     Depuis le Sud du pays nous suivons ce nom du parimoine chilien… Hé bien, nous y sommes au point de départ de son histoire. C'est ici qu'est née, il y a longtemps déjà, Lucila Godoy, dite Gabriela Mistral, poétesse chilienne et prix Nobel de littérature...

 

     Ton pays est magnifique "Lucila". Par tes récits tu as su parfaitement nous le décrire, nous le faire aimer...

 

     De tout cœur, merci !

 

Suite du TOME II... Chapitre 202...

 

Photo de Kerguelen dans les glaces près du Cap Horn...

 

Podium des sites annuaires pour le nombre de visites sur notre Blog...

 

http://voyageforum.com/voyage/budget_tour_monde_voile_D146130/

 

http://www.uniterre.com/r_carnets/carnets/recherche/carnet.php?id=8229

 

http://www.uniterre.com/annuaire/carnets-de-voyage/destination,/type,coups-de-coeur/objective,/mode,

 

http://kerguelen.blogtrafic.com/

 

http://www.web-libre.org/rto2.php?id=676146e02384d1b95d54608ca2c60009

 

http://www.des-blogs.com/blog/3292/____25_ans_autour_du_monde____.html

 

http://blogs.stw.fr/

 

http://www.annuaire-blog.net/top_clics.php

 

http://www.banik.org/general/r%C3%A9cits.htm





21/11/2005
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Voyages & tourisme pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 218 autres membres